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Nageur émérite, photographe et voyageur, Éric Huynh a profité d’un de ses nombreux périples à travers le monde pour nous présenter la natation ghanéenne.

C’est en pleine période de Coupe d’Afrique des Nations de football que je me rends au Ghana. L’occasion de dresser un état des lieux de la natation dans ce petit pays anglophone, entouré d’Etats francophones. Un pays qui a envoyé ses premiers nageurs aux Jeux Olympiques en 2016, à la faveur du critère De Coubertin. C’est depuis la France que j’ai pris contact avec Seth Nti, secrétaire général de la Fédération Ghanéenne de Natation, mais c’est à Accra, la capitale, qu’il me reçoit dans son grand bureau situé dans une enceinte multisport qui abrite le stade national de football.

Theophilus Wilson Edzie, président de la fédération ghanéenne, et Seth Nti, secrétaire général.

La fédération joue un rôle de coordination entre le gouvernement et les dix clubs que compte le pays (pour environ mille nageurs). Seth dresse un portrait « administratif » de la natation ghanéenne et me propose d’organiser une rencontre avec le président de l’instance fédérale, Theophilus Wilson Edzie, le lendemain. C’est un personnage truculent et étonnant, qui me raconte la vie de « sa » fédération, qu’il chérit et défend presque comme son enfant. Il me détaille ses projets, ambitieux, mais réalistes pour certains (en 2020, il espère que le Ghana qualifiera au moins un nageur au critère de temps B) et presque inatteignables pour d’autres (faire de la natation un sport télévisé au Ghana sur lequel les gens parieraient à l’instar des matches de football de Premier League). Seth m’indique, en fin d’entretien, que le dimanche suivant auront lieu à Accra les sélections nationales pour le championnat d’Afrique junior qui se déroulera fin mars au Caire. Je serai alors déjà parti pour Kumasi, mais la tentation est trop grande. Je ferai l’aller-retour dans le week-end (environ onze heures de bus).

Et me voilà donc dimanche matin, dès neuf heures à Burma Camp, en banlieue de Kumasi. La piscine est un grand bassin olympique découvert d’une capacité de huit lignes. Parmi elles, quatre sont installées. Le système de tension des lignes est très étonnant. Ici, pas d’accroches au mur. Des blocs de béton sont posés de part et d’autre du bassin et les lignes y sont accrochées, puis, autant que possible, tendues. Je rencontre Abbew Jackson, le Directeur Technique National (DTN). Il m’explique que l’utilisation des plots de béton lui permet de changer facilement la configuration du bassin, entre lignes mises dans la longueur (50 mètres) ou dans la largeur du bassin (20 mètres). « Ou même dans la diagonale », plaisante-t-il. 

Dans l’eau, les nageurs d’Abbew finissent leur entraînement. Ils sont une vingtaine, de 7 à 18 ans. Au milieu du bassin, une ligne d’eau tendue transforme très fragilement le bassin olympique en deux bassins de 25 mètres. Ici, pas question de pousser sur le mur au virage. Les nageurs des autres clubs arrivent au compte-goutte. Tous les nageurs en âge de disputer les sélections ne nageront pas ce matin. Il s’agit, en fait, d’une sorte de repêchage, le plus gros de l’équipe (Jackson espère emmener dix nageurs en Egypte) étant d’ores et déjà identifié. Seuls ceux qui sont « tangents » tâcheront de décrocher les derniers billets pour le stage préparatoire de deux semaines. Et ce n’est qu’au terme de ce stage que Jackson appréciera leurs progrès et confirmera ou non leur participation aux championnats d’Afrique.

Comme partout, tout commence par l’administratif. On recueille sur papier les informations concernant les nageurs engagés, notamment pour savoir s’ils ont ou non un passeport et les courses sur lesquelles ils sont pressentis. Tout athlète d’âge junior, quel que soit son niveau, est libre de participer s’il s’est préalablement engagé auprès de Jackson. Je croise, ainsi, l’équipe de la Fondation Charlène de Monaco, un établissement d’enseignement caritatif où l’intégralité des frais de scolarité est prise en charge. Pas vraiment un sport étude, puisque la plupart des participants de l’école disputent là leur première compétition. S’ils ne sont pas les meilleurs nageurs, ils sont les mieux dotés en équipement : polo et bonnet d’équipe et même jammer pour tous ! Cette cohérence détonne avec les nageurs des autres équipes qui doivent individuellement se procurer leur matériel.

Une fois la ligne de séparation du grand bain enlevée, la compétition peut commencer. Les nageurs de la Fondation Charlène de Monaco s’échauffent : un aller-retour, soit 100 mètres, qui les laissera à bout de souffle. La piscine n’ayant pas de plots, les nageurs partent du bord. Les séries –exclusivement de 50m - sont composées par style. Jackson connaît parfaitement tous les nageurs qui candidatent sérieusement pour une qualification, il essaye de les mettre dans les meilleures conditions, en les regroupant et en les entourant de nageurs émérites, déjà qualifiés, qui serviront de lièvres. Le DTN a mis en place une formule de sélection « de type olympique », c’est-à-dire qu’il s’autorise à emmener avec lui les deux meilleurs sur chaque course, à condition qu’ils réalisent les minima. Une volonté de structuration extrêmement bienvenue dans un pays où, parfois, l’organisation laisse à désirer. Cette volonté de structuration de Jackson se heurte néanmoins à la mentalité locale, plus souple et accommodante, et contre laquelle il doit lutter, au simple nom de la quête de performance. Ainsi, la compétition a commencé depuis plus d’une demi-heure quand un coach arrive avec ses nageurs. Non seulement il est en retard, mais en plus il n’a pas fait ses engagements. Il se présente tranquillement en demandant à quel moment ses protégés pourront nager. S’en suit une discussion animée. Le ton monte un peu. Jackson reste sur sa position, il n’en démord pas : les retardataires ne sont pas autorisés à concourir, ce que le coach ne semble pas du tout comprendre ni accepter. De guerre lasse, il finit toutefois par renoncer et emmène ses nageurs sur le bord de la piscine d’où ils regardent, dépités, les sélections se dérouler sans eux.

Les séries se succèdent. Pas toujours selon un timing optimal, mais ça n’est pas grave, la compétition ne s’éternise pas. D’un côté du bassin, on crie pour donner le départ, de l’autre, on écoute pour démarrer les chronos. Ici, évidemment, pas de plaques électroniques. Les temps sont donnés au dixième de seconde près et c’est sans doute déjà optimiste. Ce sont les coaches des différentes équipes engagées qui officient comme chronométreurs. Pour les nageurs vedettes, déjà qualifiés, la compétition est sans enjeu. C’est juste une prise de temps et ils donnent un coup de mains aux moins performants en nageant à leurs côtés. Pour certains, par contre, leur saison se joue aujourd’hui. Sur le bord de la piscine, une grande et athlétique jeune fille a le bras en écharpe. C’est une des stars de la natation ghanéenne qui s’est blessée au coude en tombant de sa chaise à force d’avoir trop ri. On rit beaucoup, au Ghana. Et avec enthousiasme.

De gauche à droite, Abbew Jackson, DTN, Abeiku Jackson, premier nageur ghanéen ayant participé aux JO et Seth Nti, secrétaire général de la fédération ghanéenne.

Vers 10h30, la compétition se termine. Une quarantaine de nageurs se sont affrontés, avec des niveaux extrêmement divers. Jackson ne repêche qu’un seul nageur, qui a réalisé 31’’ au 50 NL et dont il pense qu’il peut mieux faire (la qualification est à 30’’). Ecrasés de chaleur, nous nous rabattons vers le bar de la piscine, quand nous croisons Abeiku Jackson, le fils du DTN. C’est lui qui a représenté le pays à Rio, sur 50 NL. Il a nagé 24’’3 à 16 ans et son rêve, dans 4 ans, est de se qualifier au temps (23’’) pour Tokyo. Gagner 1’’3 en quatre ans, le challenge n’est pas évident, mais cela ne semble pas l’effrayer. Un des principaux obstacles n’est pas tant les conditions d’entraînement que le manque de concurrence. Ainsi, lors des sélections pour les Jeux de Rio, Abeiku a remporté le 50 NL devant son grand frère, laissé plus d’un mètre et demi derrière. Mais son père est très confiant dans la capacité de son fils à nager 23’’ dans trois ans. Pour terminer la compétition et féliciter les nageurs, le DTN offre à tous un cupcake à la crème et à la couleur bien prononcée. Marquant une fin de compétition qui s’est déroulée dans la plus grande fraternité et avec d’innombrables éclats de rire, ces sélections permettront à Jackson d’emmener son groupe en stage, puis en Egypte, affronter ses homologues africains.

Au Ghana, Éric Huynh

 

 

 

 

 

 

 

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