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Philippe Ridet, 52 ans, est journaliste au Monde. Son métier, selon lui, consiste à être attentif, écouter. Il faut, comme il dit : « Surveiller un pays comme le lait sur le feu ». L’observation de l’autre, d’une ville, d’une époque révolue, c’est un peu ce dont il est question dans ce premier roman Ce crime est à moi (éditions des Equateurs) dans lequel Philippe Ridet narre l’histoire d’un crime commis dans une petite ville des années 1970. Un fait-divers qui modifie profondément la trajectoire du narrateur. Celui-ci ne peut ni devenir nageur professionnel ni postier alors il se tourne vers le journalisme et l'écriture. La trace laissée par ce crime donne ainsi naissance à sa vocation littéraire.

Comment définiriez-vous voter premier roman ? S’agit-il à proprement parler d’un polar ?

Ce n’est pas un polar, absence de suspense, pas d’enquête. C’est un roman d’apprentissage dans lequel je décris le portrait d’une ville et d’une époque. Le point de départ est un fait divers contemporain. Je connaissais vaguement l’auteur des faits et la victime. J’ai brodé à partir d’un vécu imaginé comme un événement structurant où se mêlent l’insouciance de l’adolescence et l’entrée vers l’âge adulte.

Vous étiez nageur, le seul de votre fratrie. Pourquoi avoir choisi la natation en toile de fond de votre roman ?

J’ai accompagné un ami qui se rendait à la visite médicale pour le certificat d’aptitude à pratiquer la natation. Nous sommes dans les années 67-68. J’étais encore en primaire et nager au club était l’occasion de retrouver des « potes », de nouer des amitiés, de pratiquer un sport régulièrement. Je n’étais pas un nageur particulièrement talentueux, le club était plutôt un lieu de retrouvailles avant de se mettre à l’eau. L’été se déroulait à la piscine, la matinée débutait avec l’entrainement du matin, nous restions à la piscine jusqu’à l’entrainement du soir, allongés sur les serviettes dans une atmosphère estivale avec la sensation d’un été perpétuel… J’appréciais la natation car c’est un sport individuel (exception des relais), chacun nage dans le couloir auquel il est affecté. Cela procure une sensation de liberté de son destin. Je suis fasciné par le désir de gagner des autres, le club ne m’a pas développé un esprit de compétition, je suis d’un tempérament pusillanime.

Quel souvenir gardez-vous de votre entraîneur ?

L’entraineur Claudius Jaillardon piquait des colères, son teint devenait violacé. Il hurlait pour se faire entendre, mais il est vrai que dans l’eau, le son d’une voix parfois est difficilement perceptible. C’était son tempérament. Il y avait deux clans dans le club : les nageurs qui s’entraînaient pour la performance, et les dilettantes auxquels j’appartenais, j’attachais davantage d’importance au style, à l’esthétique, par exemple au passage de bras en crawl, style qui pouvait nuire à l’efficacité, la performance. J’admirais particulièrement le style du Russe Alexander Popov.

(Photo : Patrice Normand)

C’est la fin de l’insouciance de l’adolescence vers l’âge adulte, une transition très brute : aucun dialogue entre nageurs lorsque l’information du crime est annoncée, pourquoi ?

Le meurtre s‘inscrit dans une réalité auditive, lors de l’épreuve du 100 m dos : « À l’instant où je touchai le mur du grand bassin, j’entendis retentir un coup de feu dans un quartier désert et distant de plusieurs kilomètres ». Le coup de feu, c’est le fantasme du narrateur, la distance entre la piscine et la rue Montesquieu, lieu du crime, est d’environ 4 km, entendre le coup de feu est une réalité fictive. C’est une « licence poétique », un marqueur de passage et la fin d’un bonheur innocent.

Vous avez exploré les archives départementales pour reconstruire sous forme de dialogues les comptes rendus d’audience… Mais il manque le côté judiciaire (expertise psychiatrique). Pourquoi ne pas avoir exploré cette piste ?

Je me suis inspiré du roman la « Serpe » de Philippe Jaenada, qui reconstitue un fait divers de 1941 à base d’archives, de comptes rendus d’audience dans les moindres détails, un travail universitaire. Pour l’écriture de ce roman, j’ai laissé mon imagination travailler, créer une image floue pour laisser intactes les choses et le souvenir vague. La séquence du jugement au tribunal est relatée à travers les articles réels de la presse régionale, Le Progrès. C’est un style d’écriture ampoulé, les attitudes des différents acteurs, les tenues vestimentaires, les dialogues sont rapportés avec précision… C’est le grain du passé. J’ai trouvé judicieux de les intégrer tel quel où presque, ce qui est plus intéressant que des archives du tribunal qui auraient nécessité de demander l’autorisation judiciaire.

La scène drôle d’ouverture de la lettre est-elle fictive ou réelle ?

C’est une recette réelle que j’ai appris à la poste, bien connue des postiers. Glisser la pointe d’un stylo bille en haut du rabat et la faire tourner avec délicatesse pour le détacher. Après quoi, un peu de colle suffisait pour masquer ce méfait.

Votre roman s’ouvre sur la citation de Annie Ernaux : « Les choses ne sont pas derrière soi pour qu’on les écrive, elles sont devant pour qu‘on leur donne une forme ». Pourquoi avoir choisi cette citation ?

C’est une question de temporalité, les événements étaient derrière moi. C’est l’image d’un kit IKEA… Ce roman est le fruit d’une réflexion où j’ai adopté un style, une écriture pour lui donner une forme, trouver la bonne distance entre la période sans que cela soit nostalgique. C’est tenir des jumelles à l’envers pour toucher les choses et les rendre lointaines.

Recueilli par Anne-Elisabeth Liebmann

CE CRIME EST A MOI

Philippe Ridet

Editions des Equateurs

208 pages, 20€

Ce roman entremêle l’histoire d’un meurtre et d’une piscine. Une piscine olympique, centre de l’univers du narrateur : il y conjugua amours, victoires, défaites. Une piscine est le miroir de nos vies. Un couloir de natation suffit à séparer le mal du bien, la mort des passions brèves et ensoleillées. La piscine, théâtre de nos comédies estivales. L’été 1974, elle fut aussi le territoire d’une tragédie. Un maître-nageur fut abattu par une jeune étudiante qu’il avait séduite. Coup de feu incongru. Après ça, l’adolescence ne fut plus la même. Ce meurtre devint l’Affaire du narrateur. Sa trace a transformé et aiguillé son destin. Ce crime est à moi est une confession sidérante sur les conséquences d’un fait divers dans une petite ville de province et la décennie d’or des années 1970.

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