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Franck Esposito, entraîneur à Antibes d’un groupe de huit nageurs de haut niveau parmi lesquels figure Fantine Lesaffre, championne d’Europe 2018 du 400 m 4 nages, revient sur le confinement qui s’est achevé le 11 mai, les conditions encore incertaines du déconfinement et la réouverture prochaine des piscines pour les athlètes de haut niveau. Entre doutes et convictions, il nous fait part de sa vision des prochains mois.

Pour commencer, où avez-vous passé le confinement ?

Chez moi, à Antibes. Ça s’est très bien passé. J’ai pu voir mes enfants régulièrement et j’ai réussi à trouver du temps pour moi, ce qui n’est jamais facile au cours d’une saison. Cependant, j’étais loin d’être en vacances parce qu’il fallait garder le contact avec les nageurs et tenter d’anticiper la reprise avec le peu d’information dont on disposait.

Comment avez-vous accueilli le report des Jeux olympiques de Tokyo annoncé le 24 mars dernier par le CIO ?

Je me doutais qu’on en arriverait là ! Vu ce qui se passait dans le monde, et plus particulièrement aux Etats-Unis, je ne vois pas de quelle manière le CIO aurait pu assurer le bon déroulement des Jeux, aussi bien en ce qui concerne le public que pour les athlètes. Près de deux mois de coupure, c’est colossal ! Il faut bien se rendre compte que les athlètes ne coupent jamais aussi longtemps, même l’été, après un grand rendez-vous international. Là, il va falloir tout réapprendre sans se précipiter pour éviter les blessures.

Qu’est-ce qui va être le plus difficile à gérer à la reprise ?

Sur le plan mental, il faut se rappeler que lorsque le confinement a été décrété, nous étions à trois semaines des championnats de France de Chartres qualificatifs pour les JO. Les nageurs étaient sous tension, en phase finale de préparation. Une fois les Jeux reportés, il y a eu un gros relâchement. Il va falloir relancer les organismes, se remettre en mode haut niveau. Sur le plan physique, c’est un peu pareil. Même si le préparateur physique du club a adressé des exercices aux nageurs, ça ne remplacera jamais le contact avec l’eau, surtout pour les athlètes de mon groupe qui sont habitués à nager beaucoup. Ils ont également dû perdre du muscle. Passer de 16-17 km par jour à rien du tout, sans parler du travail à sec que l’on réalise tous les jours, va forcément poser des problèmes. Il va falloir tout reconstruire jusqu’à la fin août, puis leur accorder quelques jours de vacances, avant d’entamer cette seconde année olympique.

Vous parliez précédemment de « garder le contact avec les nageurs ». A quelle fréquence les avez-vous joints pendant le confinement ?

J’ai pris l’habitude de les appeler deux fois par semaine. Au début, tout allait bien, mais au fil des semaines, j’ai senti que certains perdaient un peu de leur motivation. Je les comprends, ce n’était pas une période facile à vivre, surtout pour des athlètes de haut niveau qui sont habitués à s’entraîner beaucoup. Ce qui m’a fait plaisir, en revanche, c’est qu’ils avaient tous hâte de reprendre et de retrouver la vie de groupe. A mes yeux, ça signifie que l’ambiance est bonne et qu’ils s’épanouissent au sein de notre structure.

Ce confinement ne représentait-il pas une opportunité d’innover, d’expérimenter et de mettre en place de nouveaux outils pour permettre aux athlètes d’être encore plus performants à la reprise ?

Certains l’ont fait ! Fantine (Lesaffre) s’est mise au yoga. Elle a également beaucoup travaillé avec sa préparatrice mentale. Elle a fait le plein de confiance et je pense sincèrement qu’elle ne reprendra pas dans les mêmes dispositions. Là-dessus, c’est positif. Elle l’admet d’ailleurs sans détour : ce confinement lui a fait du bien !

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Qu’en est-il de la reprise à Antibes ?

Hier matin (lundi 11 mai), le décret annonçant la reprise de l’entraînement des groupes de haut niveau a été promulgué par le Premier ministre. Le maire d’Antibes devrait rouvrir la piscine prochainement, peut-être d’ici la fin de semaine. Les nageurs doivent encore passer des tests médicaux, mais je suis plutôt optimiste. Ça devrait se remettre en route dans les prochains jours.

Sur quel rythme ?

On va reprendre en douceur. Les nageurs vont devoir réaliser un travail de réathlétisation en salle avant de retrouver progressivement leurs appuis dans l’eau. Mais ça ne m’inquiète pas. Je pense que ça va permettre de tout reprendre à la base, nous allons prendre le temps de parler, d’ajuster les séances. Ce sera sans doute plus compliqué à gérer pour les athlètes qui avaient prévu d’arrêter après les Jeux de Tokyo, mais si on commence à nourrir des regrets ou à avoir des états d’âmes, ça peut devenir très compliqué.

Reste que les quinze mois qui s’ouvrent jusqu’aux JO de Tokyo en juillet 2021 sont totalement inédits. De quelle manière convient-il d’aborder une aussi longue période d’entraînement ?

Comme je le disais, nous allons reprendre en douceur jusqu’au mois d’août avant de faire une « vraie » reprise en septembre prochain. Pour l’heure, il faut se montrer patient et réapprendre à s’entraîner.

S’entraîner sans participer à la moindre compétition estivale n’est-ce cependant pas problématique pour des nageurs de haut niveau ?

Ça ne me dérange pas ! J’en ai déjà parlé avec les huit nageurs de mon groupe en leur disant que nous allions en profiter pour passer du temps à Antibes et éviter de tomber malade en se mélangeant à une foule de nageurs. La priorité, il faut le répéter, c’est la santé. Ça, les athlètes l’ont bien compris. On se posera la question des compétitions en septembre. Avant cela, il importe de respecter les consignes sanitaires et les gestes barrières. La crise n’est pas terminée.

(KMSP/Philippe Millereau)

Justement, ne craignez-vous pas que ce confinement prolongé et les restrictions qui vont suivre altèrent durablement le sport français de manière générale et la natation plus particulièrement ?

Il y aura des conséquences. Lesquelles ? Je ne sais pas. A mon échelle, j’espère que le club va pouvoir reprendre ses activités en septembre prochain parce que sinon, cela risque d’être compliqué sur le plan financier. Je pense aussi aux gamins ici ou ailleurs qui aiment nager et qui ont envie d’y retourner.

A l’inverse, ce confinement peut-il constituer un accélérateur de pratique ?

Je l’espère ! Dès que les piscines seront rouvertes, j’espère que les gens viendront nager en masse pour leur bien-être. Je redoute malgré tout que tout le monde retrouve rapidement ses habitudes et que le sport en pâtisse. Dès que les gens auront repris leur boulot et leur rythme, il y a fort à parier qu’ils n’auront plus le temps de faire du sport. C’est dommage parce que cette période de confinement pourrait nous servir de leçon…

C’est-à-dire ?

A partir du 11 mai, on aurait pu amorcer un virage et tirer les leçons de ce qui ne fonctionnait plus. J’aurais aimé que ce déconfinement sonne comme l’acte I d’un autre monde. Il est temps pour nous et notre planète de bien faire les choses. Moi, ce qui m’a frappé pendant le confinement, ce n’est pas tant les gens en train de faire du sport, je note d’ailleurs qu’il n’y a jamais eu autant de préparateur physique sur Internet, mais c’est surtout la rapidité avec laquelle les animaux et la nature se sont réappropriés les campagnes et les villes.

 

Le report des Jeux olympiques de Tokyo peut-il également permettre à la relève tricolore de s’émanciper et de gagner en confiance et en maturité dans la perspective d’une éventuelle qualification ?

Oui, évidemment, ça leur laisse un an de plus pour travailler. Un nageur comme Yohann Ndoye Brouard sera aux Jeux sans aucun problème. C’est un jeune prometteur qui n’en finit plus de nous surprendre. Mewen Tomac a également d’énormes qualités, à l’instar de quatre-cinq nageurs qui disposent d’une année supplémentaire pour décrocher leur qualification olympique.

Qu’en est-il des nageurs plus âgés de l’équipe de France ?

Il faut arrêter de croire qu’à partir d’un certain âge on ne peut plus performer. Des nageurs de 25-26 ans ou même davantage sont en pleine possession de leurs moyens. La Hongroie Katinka Hosszu est âgée de 31 ans et elle continue de s’illustrer. A titre personnel, j’ai arrêté de nager à 34 ans, mais pendant des années, on me demandait si ce n’était pas devenu trop difficile. Mais non, je me sentais bien, je m’entraînais dur et, plus important encore, j’étais performant. Il faut vraiment arrêter avec cette idée reçue. Une nageuse peut envoyer du lourd jusqu’à 32 ans. Un garçon jusqu’à 34-35 ans. Ce sont des athlètes de haut niveau, des nageurs professionnels. S’ils évoluent sur la scène mondiale, c’est bien qu’ils ont des qualités athlétiques hors du commun. Et puis, ce que je répète souvent à mes nageurs, c’est qu’ils sont en train de vivre les plus belles années de leur vie. Alors autant en profiter et prolonger le plaisir le plus longtemps possible. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, mais ils ont quand même la possibilité de voyager à travers le monde, de rencontrer des gens, de découvrir des cultures, des pays, de vivre des émotions intenses et des événements extraordinaires. C’est quand même une existence incroyable. Il ne faut pas l’oublier.

Un an de plus de travailler, mais un an de moins pour préparer les Jeux de Paris en 2024. Est-ce que ce décalage peut avoir des conséquences sur la prochaine olympiade ?

Non, je ne le pense pas ! Quand on aura tourné la page Tokyo, on basculera immédiatement sur la préparation des JO de Paris. Il n’y aura pas de possibilité de break pour les nageurs. Il faudra enchaîner rapidement et mettre la tête dans le guidon pour ne pas perdre de temps. De toute façon, les Jeux restent les Jeux. C’est l’objectif suprême, le graal que tous les athlètes de haut niveau cherchent à atteindre. Si on n’est pas motivé par les Jeux, c’est difficile de s’entraîner toute l’année. Je n’ai aucun doute sur la motivation de nos athlètes. Ils basculeront sans difficulté.

Recueilli par Adrien Cadot

 

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