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Nageur émérite, photographe et voyageur, Éric Huynh a profité d’un de ses nombreux périples à travers le monde pour nous présenter la natation argentine. Ce mois-ci, il nous fait découvrir la natation népalaise. Attention au dépaysement !

Après avoir notamment écrit sur la natation au Ghana ou au Myanmar, je pensais que plus rien ne pourrait me surprendre, en matière de condition d’entraînement. Et pourtant, le Népal a fait dérailler mes certitudes… Avant de partir, j’ai préparé mon affaire, notamment en jetant un œil sur les records nationaux (https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Nepalese_records_in_swimming). Ce qui saute aux yeux, c’est combien ils sont plus faibles que ceux de nations qui, par ailleurs, ont un niveau de développement et de vie comparables. J’étais impatient de découvrir les raisons de ce décalage. Le Népal est un pays pauvre, 167e sur 183 selon le FMI. Privé d’accès à la mer et coincé entre les deux nations les plus peuplées du monde, le pays est dans une situation géopolitique compliquée, même si un gouvernement « stable » (installé depuis un an), maoïste, a pris les rênes du pouvoir. La population fonde de grands espoirs sur le nouveau gouvernement. On pourrait énumérer longuement la liste des spécificités de ce pays singulier, des plus anodines : c’est le seul pays du monde dont le drapeau n’est pas rectangulaire, aux plus significatives : c’est le seul pays qui n’a jamais été en guerre avec ses voisins bien qu’il ait toutefois connu des guerres civiles tragiques, notamment lors de la rébellion maoïste dans les années 2000.

Rencontre avec le directeur technique des équipes nationales

C’est par une de ces chaudes fins d’après-midi d’avant mousson à Katmandu qu’un de mes élèves du cours de photographie me dépose en scooter au centre nautique national. J’ai rendez-vous avec Ongden Lama, directeur technique national et entraîneur principal des équipes népalaises, à l’occasion d’un entraînement d’une partie de l’équipe nationale. Alors que je vois filer au loin, dans une volute de poussière, le scooter fatigué de mon élève, je réalise, étonné, la présence de nombreux engins de chantier sur le site. Et de fait, la piscine est complètement vidée, en plein travaux. Alors que l’équipe nationale est censée s’entraîner...

(FFN/Eric Huynh)

(FFN/Eric Huynh)

J’appelle Ongden au téléphone, il me confirme que je ne suis pas au bon endroit, que l’équipe ne s’entraîne pas là pendant les travaux (la piscine a été construite par les Chinois, cadeau au peuple népalais : la piscine a été lourdement endommagé par le tremblement de terre de 2015. Les Chinois prennent en charge sa remise en état, ndlr). Ce qu’il avait omis de me dire jusque-là. Me voilà donc parti pour vingt minutes de marche dans la banlieue de Katmandu jusqu’à atteindre un complexe sportif beaucoup plus modeste. A l’entrée, sur un terrain de futsal, une équipe de filles s’entraîne. Un peu plus loin, une petite piscine de 25 mètres avec une ficelle tendue dans le milieu en guise de séparation, mais pas de vraies lignes. Il n’y a pas foule dans l’eau.

(FFN/Eric Huynh)

Côté équipe nationale, un groupe de 3 garçons et 3 filles, adolescents ou jeunes adultes, nagent sous le regard bienveillant d’Ongden Lama. Le technicien népalais m’accueille chaleureusement. On m’apporte un thé sucré au lait (milk tea), une boisson traditionnelle du Népal. Il m’explique que si les garçons nagent d’un côté et les filles de l’autre, c’est juste pour une raison de niveau. En outre, les garçons sont sensiblement plus âgés. Les garçons ont déjà une solide expérience internationale, Ongden les accompagne parfois dans les compétitions à l’étranger. Lui, l’ancien brasseur, drive la sélection nationale depuis près de 25 ans. Les filles, plus jeunes, sont moins expérimentées.

(FFN/Eric Huynh)

Ongden Lama livre ses consignes à un de ses nageurs (FFN/Eric Huynh).

Mais d’emblée, il m’explique qu’en l’absence de structure professionnelle, il lui est très difficile de retenir les sportifs. Après 18 ans, les jeunes s’envolent vers leurs études et oublient la natation. Difficulté supplémentaire, la pratique de la natation reste onéreuse, dans un pays très gravement sous équipé. De fait, tous les membres de l’équipe nationale sont issus de la haute bourgeoisie népalaise. Ongden sait que, ce faisant, il se prive certainement de talents et que son réservoir de nageurs est très faible, mais il hausse les épaules en me regardant. Il n’a pas de solution à ce problème.

Mais ces vents contraires n’expliquent pas à eux seuls la faiblesse des records nationaux et ce n’est qu’après trente minutes de discussion que je découvre le problème qui est à la base de tout… Ongden propose aux nageurs présents dans le bassin, membres de l’équipe nationale ou jeunes espoirs, de sortir de l’eau pour une photo de groupe avec lui et moi. Les enfants, joueurs, sortent sans se faire prier. Et c’est alors que je découvre qu’ils sont tous frigorifiés ! Pour la photo, j’en attrape un par les épaules, sa peau est gelée. Une fois les photos faites, les nageurs retournent à l’eau et je m’enquiers auprès d’Ongden de la température de l’eau. Il m’explique qu’elle doit être à 21° ! Le bassin n’est pas chauffé, et en cette mi-avril, les nageurs reprennent seulement l’entraînement dans l’eau après avoir arrêté fin septembre, quand la température de l’eau redescend en dessous de 21°, température minimale requise. Et le reste de l’année ? Eh bien c’est sport hors de l’eau, l’équipe nationale ne s’entraîne qu’à peine six mois par an dans l’eau !

L'entraîneur Ongden Lama en compagnie de notre reporter Eric Huynh et de son groupe de nageurs (FFN/Eric Huynh).

Ongden m’indique que même le bassin olympique en reconstruction (sur financement chinois) ne sera pas chauffé. Il n’y a qu’un seul bassin réglementaire chauffé à Katmandu : il est la propriété d’une université privée américaine, la Lincoln Academy. L’équipe nationale népalaise n’y a pas accès. Officiellement pour des raisons de sécurité. Reste que pour la première fois, la piscine chauffée devrait prochainement ouvrir ses portes à la natation népalaise pour les championnats nationaux ! Un premier geste de la part de l’université américaine dont on espère qu’il sera suivi d’autres. A la sortie de l’entraînement, les trois jeunes filles viennent à ma rencontre pour discuter. C’est étonnant dans un pays où les filles sont incitées à la plus grande réserve. Elles ont entre 12 et 14 ans et rêvent de Jeux Olympiques, mais l’heure est au championnat national du mois de juin, qualificatif pour les championnats d’Asie du Sud.

Rencontre avec le Secrétaire général de la Fédération Népalaise de Natation

Il s’écoule près de deux semaines entre la première et la seconde rencontre avec des dirigeants népalais. Cette fois, j’ai l’opportunité de rencontrer Shrestha Jagatman, Secrétaire général de la fédération. Il vient me chercher à mon AirBnb en voiture et nous cheminons vers le complexe sportif. Je lui explique ce que j’ai retenu de ma discussion avec Ongden Lama. Il m’indique qu’il partage mon constat, mais ajoute, fier, que le Népal accueillera en mars 2019 les championnats de natation de l’Asie du Sud Est. En mars ? Sans bassin chauffé ? Eh bien si ! Un bassin couvert et chauffé est en construction, à côté du bassin olympique que les Chinois restaurent. Il accueillera le championnat et sera ensuite mis à disposition de la fédération népalaise, ce qui lui donnera de nouveaux moyens pour accompagner le développement de la natation. L’acte de naissance de la natation népalaise.

Et d’ailleurs, Shrestha a des projets de développement plein la tête. Il revient de Budapest, où il a rencontré les représentants de la FINA pour travailler sur le développement de la natation népalaise. Il souhaite avoir une équipe de water-polo (le pays n’a pour l’heure qu’une équipe de natation course et une équipe d’eau libre ; la natation artistique et le plongeon ne sont pas encore à l’ordre du jour, ndlr). A l’image de la Thaïlande, qui s’est offert les services ponctuels d’un technicien espagnol, il voudrait faire venir un entraîneur d’une grande nation de natation. Il me dit qu’avec la piscine chauffée, il va pouvoir toucher beaucoup plus de nageurs, surtout des personnes modestes ; le problème sera alors de les équiper et il me demande si on ne pourrait pas récupérer du matériel de seconde main, en France, pour accompagner tous ces nouveaux nageurs !

(FFN/Eric Huynh)

Une fois au complexe, nous montons sur le ponton qui surplombe le bassin. Ongden est toujours au bord du bassin. Il supervise l’entraînement de quatre nageurs. Shrestha m’indique qu’avec sa piscine chauffée, son rêve est d’arriver un jour, le plus tôt possible, à envoyer un nageur népalais aux Jeux Olympiques sur le critère B ! On en est encore loin, bien sûr, mais il a le regard qui porte loin et la perspective de la nouvelle piscine lui met des papillons dans les yeux.

De gauche à droite : notre reporter Eric Huynh, Ongden Lama et Shrestha Jagatman (FFN/Eric Huynh).

(FFN/Eric Huynh).

A Katmandu, Eric Huynh

 

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