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Après une longue indisponibilité liée à une blessure contractée à l’épaule, Anna Santamans était sur le point de retrouver son niveau de performance. A Chartres, où devaient se disputer mi-avril les championnats de France qualificatifs pour les Jeux olympiques de Tokyo, la nageuse de Julien Jacquier aurait dû mettre un point final à cette période frustrante de disette et de souffrance pour retrouver l’allant qui lui avait permis d’intégrer les rangs de l’équipe de France et de disputer les Jeux de Londres en 2012 et ceux de Rio en 2016. Reste que le coronavirus est passé par là et avec lui son cortège d’annulation et de report, à commencer par les JO nippons. Pas question cependant de renoncer. La sprinteuse marseillaise compte en effet puiser dans cette nouvelle épreuve une motivation supplémentaire.

Anna, où es-tu confinée ?

Je suis chez moi, à Marseille, depuis le 17 mars. J’ai pensé rejoindre ma famille, d’autant que notre voisin a une piscine, ça aurait été l’occasion de nager un peu, mais finalement, j’ai préféré rester dans mon appartement. C’est un deux pièces, mais je m’y sens bien et comme je me doutais que le confinement allait durer, je n’ai pas voulu rompre avec mon petit chez moi (sourire)

Après plus de cinq semaines de confinement dans quel état psychologique es-tu ?

Le plus dur, ça a été au début car j’étais persuadée que l’on pourrait continuer de s’entraîner presque normalement au Cercle des Nageurs de Marseille. J’en étais encore à me dire que ce ne serait pas si difficile à vivre et que j’aurais une routine quotidienne. Très vite, cependant, le Cercle a fermé et il a fallu rester chez soi. Basculer dans l’inconnu m’a fait un peu de mal, mais rapidement je me suis concoctée un petit emploi du temps pour ne pas, justement, avoir l’impression de ne rien faire. Ce n’est pas facile tous les jours, il y a des moments plus longs que d’autres, mais dans l’ensemble et après plus de cinq semaines de confinement, je trouve que je m’en sors plutôt bien (sourire)

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Comment gères-tu les jours de moins bien ?

J’essaie de voir le positif dans ma vie, de me dire que le confinement ne va pas durer éternellement et qu’un jour ou l’autre la vie va bien finir par reprendre. Il y aura encore des restrictions, c’est certain, mais nous ne serons plus obligés de rester à la maison.

En 2018 et 2019 tu as connu une longue période d’indisponibilité en raison d’une blessure à l’épaule qui a nécessité plusieurs interventions chirurgicales. Cette expérience te sert-elle aujourd’hui ?

Complétement ! Au total, le confinement devrait durer deux mois, ce qui est déjà beaucoup, mais lorsque j’étais blessée, je n’ai pas pu m’entraîner normalement pendant un an et demi et j’ai été privée de toute activité sportive pendant cinq mois. Donc, ce que nous vivons actuellement ne me paraît pas insurmontable. C’est usant, frustrant aussi, mais je le vis bien ! Je sens que je suis solide sur le plan émotionnel. Cette blessure m’a permis de mettre des mots sur mes sentiments et d’arrêter de tout garder pour moi.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

As-tu gardé le lien avec ton club ?

Je suis en contact quasiment tous les jours avec Julien Jacquier, mon entraîneur. Et puis je discute régulièrement avec les nageurs marseillais. Ce sont des partenaires d’entraînement, mais aussi des amis. C’est important de garder un lien, de ne pas se replier sur soi-même. J’ai également mes proches au téléphone toutes les semaines. Tout le monde veille les uns sur les autres.

Dans ce contexte inédit, les athlètes de haut niveau sont confrontés à une difficulté supplémentaire : garder la forme et entretenir sa masse musculaire pour éviter les risques de blessure à la reprise. Qu’en est-il de ton côté ? Suis-tu un programme journalier ?

Le préparateur du CNM nous a adressé un protocole quotidien. Julien (Jacquier) a complété ça avec un emploi du temps hebdomadaire. Quant à moi, j’avais anticipé en récupérant des altères et un peu de matériel avant que la piscine du Cercle ne soit fermée. Dans la foulée, j’ai planifié des exercices faciles à réaliser à la maison. Il ne s’agit pas de faire de la musculation à proprement parler, mais bien de s’entretenir en réussissant surtout à varier les plaisirs. Le plus dur, c’est de faire la même chose tous les jours, alors je puise un peu dans les différentes propositions que l’on m’adresse pour éviter de tomber dans une routine assommante.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Ne redoutes-tu pas malgré tout une inévitable perte physique ?

Honnêtement, je pense qu’il y a moyen de maintenir sa masse musculaire. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu. Le vrai problème, à mon sens, ce sont surtout les sensations aquatiques, la glisse et les appuis, mais plus encore l’explosivité. Cela fait quand même cinq semaines que je ne vais plus dans l’eau. D’habitude, même l’été, je ne coupe jamais autant…

La reprise s’annonce en tout cas moins compliquée pour toi et tous les sprinters que pour les nageurs de demi-fond ou les spécialistes des épreuves de longue distance qui ont besoin d’enchaîner les kilomètres.

C’est certain ! Quand je vois Marc-Antoine Olivier faire du surplace dans la piscine de ses parents pendant (elle s’interrompt)… beaucoup de temps (sourire)… ça m’impressionne ! Je serais incapable de faire comme eux. Vraiment, je suis admirative. Quel courage cela demande, quelle abnégation ! A la reprise, il me faudra que quelques jours pour retrouver mon endurance. Sans doute un peu plus en ce qui concerne l’explosivité, mais ça reviendra quand même très rapidement.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Outre les exercices de préparation physique, comment occupes-tu ton temps depuis le début du confinement ?

Mon quotidien tourne beaucoup autour de la bouffe (sourire)… Mais bon, je n’ai pas attendu le confinement pour me mettre à la cuisine. C’est quelque chose qui me plaît. J’aime me lancer des défis culinaires. Après une phase pâtisserie, j’ai basculé sur les viennoiseries et le pain. J’expérimente beaucoup (sourire)

En évitant le grignotage intempestif ?

C’est sûr que les tentations sont nombreuses, mais j’ai l’impression de me contrôler. Malgré tout, je ne m’interdis rien. Si j’ai envie d’un truc sucré, je succombe, mais de manière raisonnable (sourire)

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Les championnats de France de Chartre, qualificatifs pour les Jeux de Tokyo, auraient dû se tenir mi-avril. Dans quel état d’esprit et de forme les abordais-tu ?

Pour être honnête, je n’étais pas hyper sereine ! Je faisais de très bons entraînements depuis janvier, mais en compétition, ce n’était pas encore ça... J’étais motivée, convaincue par ce que je réalisais à l’entraînement, mais au moment d’aborder la phase finale de préparation, je n’étais pas en pleine confiance. C’est aussi pour cette raison que j’ai été soulagée quand le CIO a annoncé le report des Jeux de Tokyo (mardi 24 mars). Je me dis maintenant que j’ai un an de plus pour me préparer.

La décision du CIO était-elle la bonne ?

Oui, ça ne fait aucun doute ! Je ne vois pas comment on aurait pu maintenir les Jeux dans le contexte actuel. La moitié de la population mondiale est à l’arrêt, ça n’aurait eu aucun sens de maintenir les Jeux olympiques.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Maintenant que l’horizon s’est éclairci, à quoi va ressembler ton été ?

On en sait pas encore quand on va pouvoir reprendre. Tout cela est encore très incertain. La seule chose que Julien (Jacquier) a décidé, c’est que les nageurs de son groupe d’entraînement auraient des vacances cet été. En effet, il considère que démarrer une saison en juin prochain et tenir le rythme jusqu’à l’été 2021, ça ferait un peu long, tant physiquement que mentalement.

Est-ce problématique de ne pas disputer de compétition cet été ?

Cela peut poser des problèmes sur les automatismes de compétition, mais bon, c’est aussi quelque chose qui revient vite. Et puis, à Marseille en tout cas, on nage tous depuis des années. On sait comment ça se passe, donc ça ne m’inquiète pas plus que ça. C’est un peu comme le vélo, ça ne s’oublie pas !

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

La compétition te manque-t-elle ?

Nager vite, oui, ça me manque ! C’est ce que j’aime le plus dans la natation. Mais là encore, je ne suis pas préoccupée car je sais qu’on finira par se remettre à l’eau et que les sensations reviendront vite.

Entre ta blessure à l’épaule, ta longue indisponibilité et ce confinement inédit, ton olympiade 2016-2020 aura été pour le moins chaotique.

C’est sûr que je n’aurais pas disputé beaucoup de compétitions ces quatre dernières années (rires)… Malgré tout, je reste positive en me disant que j’ai beaucoup appris sur moi. J’ai finalement réglé beaucoup de problèmes dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Je me sens plus forte aujourd’hui, plus à même d’affronter ce qui va suivre. Je compte bien m’appuyer sur ces acquis pour retrouver la plénitude de mes moyens et performer l’année prochaine.

Recueilli par Adrien Cadot

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