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Depuis Echirolles, où il est confiné avec ses parents, Jordan Pothain, 25 ans, a accepté de répondre à nos questions avec franchise et lucidité. Du confinement à la reprise qui se profile, en passant par l’olympiade douloureuse qu’il vient de vivre, la retraite surprise de Jérémy Stravius et l’incertitude qui plane sur la seconde année olympique qui doit mener le collectif niçois entraîné par Fabrice Pellerin aux Jeux de Tokyo en 2021, Jordan s’est livré comme jamais, avec intelligence et honnêteté, à l’image du champion qu’il n’a jamais cessé d’être.

Où es-tu confiné ?

Je suis à Echirolles, chez mes parents. Au début, je n’ai pas vraiment pris la mesure de la pandémie. Je ne me doutais pas que ça durerait aussi longtemps. Au fil des jours, il a bien fallu prendre le rythme à s’habituer à respecter les gestes en barrière en restant à la maison.

En dépit de ce contexte particulier et pour le moins anxiogène, on ne te sent pas abattu ou déprimé.

Non, absolument pas ! Je suis quelqu’un de plutôt optimiste. C’est une période particulière, mais la vie va progressivement revenir à la normale. A titre personnel, j’ai le sentiment d’avoir bien géré ce confinement.

C’est-à-dire ?

J’ai mis à profit ce cycle de huit semaines pour travailler des choses que je néglige d’ordinaire. Jamais encore je n’avais connu une coupure aussi longue dans ma carrière. Je crois avoir trouvé le juste milieu entre régénérer mon organisme et m’entraîner sérieusement. Je pense que je vais sortir de ce confinement avec beaucoup de fraîcheur et la satisfaction d’avoir progressé dans certains domaines.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Lesquels ?

En termes de préparation mentale, je suis au point. C’est quelque chose que j’ai mis en place depuis quatre ans. C’est surtout sur le plan physique que j’ai pu me concentrer sur des exercices spécifiques d’explosivité et de souplesse. Dès le début du confinement, la Fédération nous a adressé des protocoles d’entraînement, mais étant de nature assez indépendante, j’ai surtout profité de cette période inédite pour faire ce que j’aime…

Tu parlais d’explosivité et de souplesse. Peux-tu nous en dire davantage ?

Mes parents habitent à proximité d’un bois, j’en ai donc profité pour courir régulièrement en travaillant le sprint en côte, tout ce que l’on n’a pas l’habitude de faire dans l’année car nous avons déjà un volume d’entraînement très important. Et puis, ce sont des exercices coûteux sur le plan énergétique. Je ne sais si j’ai déjà eu autant de courbatures (rires)… Pour ce qui est de la souplesse, étant raide de nature, je me suis imposé un protocole personnel qui a porté ses fruits. Je suis vraiment content du résultat.

Penses-tu pouvoir en tirer des bénéfices à la reprise de l’entraînement ?

J’ai perdu beaucoup sur le plan aquatique, c’est certain, mais c’est le cas pour tous les nageurs. Il fallait faire avec cette contrainte et trouver d’autres champs à investir. Je n’ai pas beaucoup travaillé les bras, mais je sens que j’ai gagné en explosivité et en souplesse dans le bas du corps. Alors oui, je suis convaincu d’avoir mis à profit ce cycle de huit semaines pour progresser.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Comment as-tu vécu l’annonce du report des Jeux de Tokyo ?

Sur le coup, j’ai éprouvé de la frustration parce que je me sentais bien dans l’eau depuis le mois de janvier alors que ça faisait un moment que j’avais du mal à m’exprimer. On ne va pas se mentir, je galère depuis plusieurs années, mais là, franchement, il y avait vraiment du mieux ! Tout se mettait en place et j’avais hâte de voir ce que ça pouvait donner aux championnats de France qualificatifs pour les Jeux. La frustration passée, je me suis dit qu’avec une année supplémentaire, j’allais pouvoir travailler davantage et m’améliorer encore avec l’ambition de renouer avec l’objectif que je m’étais fixé en rentrant de Rio en 2016…

A savoir ?

Entrer en finale olympique et batailler pour une médaille.

Même si, comme tu le soulignes, ces quatre dernières années n’ont pas été simple à gérer, tant humainement que sportivement.

Les choses sont comme elles sont ! J’ai connu une ascension rapide concrétisée par une finale olympique à Rio, puis une chute brutale. Les gens ne se rendent pas forcément compte, mais ça n’a pas été facile à vivre. Il y a eu des moments pendant lesquels j’ai broyé du noir. Rien ne se passait comme prévu, tout était compliqué. Ce n’est pas simple dans ces conditions de continuer à s’entraîner tous les jours, mais bon, du haut de mes 25 ans je relativise en me disant que c’est aussi ça le haut niveau, des hauts et des bas à négocier en tachant de garder un cap ambitieux.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Outre ce confinement, le groupe niçois a vécu en début de saison un autre événement inédit : l’annonce de la retraite de Jérémy Stravius. Comment as-tu accueilli cette décision inattendue ?

Sur le coup, ça a été un peu dur parce que Jérémy était un pilier du groupe et un ami, quelqu’un dont je suis très proche depuis que je suis entré en équipe de France. Je sais que c’était difficile pour lui depuis un moment, mais je ne l’avais pas vu venir. Quand il m’a expliqué son choix, j’ai tout de suite vu qu’il était soulagé. A ce moment-là, j’ai compris que sa décision était réfléchie et qu’il en avait besoin.

Est-ce que ça a bouleversé ton quotidien ?

Jérémy est un élément important du groupe niçois, un mec disponible et à l’écoute. Pour ça, il me manque beaucoup. Sur le plan sportif, étrangement, son départ m’a presque fait du bien…

Comment ça ?

N’allez pas croire qu’il me déconcentrait, mais on avait tendance à se tirer la bourre, parfois un peu trop et à des moments où il aurait fallu calmer le jeu. Depuis qu’il n’est plus là, je suis obligé de me concentrer sur moi. Il me manque, forcément, mais j’ai essayé de m’adapter le plus rapidement possible. Peut-être aussi que je suis mieux dans ma nage depuis janvier parce que je n’essaie plus continuellement de finir les séries devant lui ou de m’accrocher à lui quand ça va moins bien.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

As-tu déjà abordé la question de la reprise de l’entraînement avec Fabrice Pellerin ?

Ça reste encore très flou. Pour l’instant, on ne sait pas grand-chose. Il va falloir que je regagne Nice à un moment ou à un autre pour profiter des installations du club. Dans ce contexte, je pense qu’on devrait pouvoir reprendre la semaine prochaine si tout se passe bien et si je réussis à faire le trajet en voiture sans prendre trop d’amendes (sourire)

Qu’en est-il de l’été qui s’annonce ?

Là aussi, je ne sais pas de quelle manière va s’organiser ma planification estivale. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on va s’entraîner en se programmant un ou deux petits breaks. A titre personnel, j’ai hâte de reprendre l’entraînement, mais encore plus de nager en compétition. Je m’imagine mal ne pas prendre le départ d’une course pendant les cinq prochains mois.

La compétition te manque ?

Carrément ! Je ne sais si c’est lié à mon âge, mais je me rends compte que les nageurs passent énormément de temps dans l’eau pour être en forme deux fois dans l’année si tout se passe bien… J’y pense beaucoup ces derniers temps. J’ai presque envie de modifier ma manière de fonctionner pour privilégier les compétitions et ne pas négliger mes études de kiné. C’est en cours de réflexion, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que je piaffe à l’idée de replonger en compétition.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

N’est-ce pas un peu « effrayant » de se lancer dans une seconde année olympique qui pourrait s’étirer sur quasiment quinze mois jusqu’aux Jeux de Tokyo en juillet 2021 ?

Dit comme ça, c’est un peu flippant (sourire)… Ce sera un gros morceau. Il va falloir être hyper sérieux et tout mettre en œuvre pour que ça se passe sans encombre. Surtout, physiquement, il va falloir tenir ! Mais j’ai confiance en Fabrice et en mes coéquipiers. Je sais que l’on va travailler tous ensemble et que l’on saura se soutenir quand la saison deviendra difficile.

On se dirige en tout cas vers une saison complétement inédite. C’est un sacré saut dans l’inconnu.

Oui, c’est de l’inédit à tous les niveaux ! Pour l’instant, on manque de recul. Déjà, sur la période de confinement. On ne sait pas comment les nageurs vont reprendre l’entraînement. Il y a ceux qui auront maigri, ceux qui auront grossi, ceux qui auront suivi le protocole de PPG et ceux qui auront été moins assidus. C’est le flou total. Après, il faudra composer avec une situation que personne n’a encore vécu. Pour autant, comme je l’ai déjà dit, je suis optimiste. J’ai confiance dans les entraîneurs français et dans la capacité des nageurs tricolores à retrouver leur meilleur niveau.

Recueilli par Adrien Cadot

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