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Marc-Antoine Olivier est un boulimique de podiums, de médailles et de distinctions internationales. A seulement 21 ans, le natif de Denain peut déjà se targuer d’une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Rio, de deux titres mondiaux sur 5 km et avec le relais mixte et de deux couronnes nationales sur 800 et 1 500 m nage libre, au nez et à la barbe des spécialistes tricolores du demi-fond. Un affamé, on vous disait, qui n’a sans doute pas fini de se mettre à table.

Voilà maintenant plusieurs semaines que la saison est lancée. Dans quel état d’esprit l’abordes-tu ?

Je me sens bien, reposé et serein. J’ai pris un mois de vacances après les championnats du monde de Budapest avant de reprendre l’entraînement. D’entrée, Philippe nous a programmé des séances avec des objectifs élevés. Mais c’est normal car on espère faire mieux que cet été en Hongrie (l’équipe de France a décroché six médailles, dont quatre en or, aux championnats du monde de Budapest, ndlr).

Tu sembles t’être rapidement adapté à ton nouvel environnement montpelliérain.

Oui, sans problème (sourire)… Il faut dire que les conditions sont proches de celles que nous avions à Narbonne. On sent que la ville de Montpellier nous a mis dans les meilleures conditions pour performer, avec notamment notre propre local pour nous changer, nous doucher et faire notre préparation physique (à l’heure où nous bouclons ce numéro, la salle de musculation n’était toutefois pas encore complétement aménagée, ndlr). Tout est réuni pour que nous donnions le meilleur de nous-mêmes.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

D’autant que cette année, le groupe de Philippe Lucas s’est élargi.

Beaucoup de jeunes nageurs nous ont rejoints. Ça fait du bien de voir de nouvelles têtes. C’est rafraîchissant (sourire)

Cette émulation collective est-elle nécessaire ?

Elle est capitale ! A titre personnel, je ne saurais pas m’entraîner tout seul. Si je devais travailler en tête à tête avec Philippe, ça ne fonctionnerait pas. Quand l’atmosphère de travail est bonne dans un groupe, cela permet aux nouveaux arrivants de s’intégrer rapidement et cela donne de l’assise aux « anciens ». On s’encourage tous, on se pousse dans nos derniers retranchements, on se soutient, notamment en compétition.

Après trois années de collaboration avec Philippe, la « méthode Lucas » continue-t-elle de te convenir ?

Honnêtement, je ne pense pas que j’aurais eu autant de résultats avec un autre coach. Je lui fais entièrement confiance. Alors, bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours, mais j’évolue vraiment en totale sérénité.

Marc-Antoine Olivier (ici à droite), en compagnie de Logan Fontaine, Océane Cassignol et Aurélie Muller (toutes deux membres du groupe d'entraînement de Philippe Lucas à Montpellier), à l'issue de leur victoire dans l'épreuve du relais mixte des championnats du monde de Budapest (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Comment décrirais-tu la méthode de Philippe ?

Intensité matin et soir, rarement de repos, voire pas du tout (sourire)... Pour résumer, je dirais que c’est du travail, du travail et encore du travail. Ça peut sembler extrême, mais quand on voit le palmarès de tous les nageurs qu’il a entraînés, on se dit que sa méthode finit souvent par payer.

A quoi ressemble une semaine type ?

Je passe entre cinq heures et cinq heures et demie dans l’eau par jour. A cela s’ajoute des séances de musculation et une heure de course à pied. Pour autant, comme vous avez pu le constater ce matin, on ne se prive pas de rigoler entre chaque série.

En termes de kilométrages, ça représente quoi ?

Environ quatre-vingt kilomètres par semaine. Cependant, s’il y a beaucoup d’endurance, on travaille aussi en intensité. Aujourd’hui, on sait que les arrivées en eau libre se disputent souvent au sprint. Il faut être capable d’accélérer dans les cinq cent derniers mètres pour jouer la gagne.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

On te sent confiant, plus déterminé que jamais. Quels sont tes objectifs pour la saison à venir ?

Il y aura d’abord les championnats de France en petit bassin (Montpellier, 30 novembre-3 décembre), même si ce n’est pas mon format de prédilection. Dans la foulée, je participerai aux championnats du monde militaire en grand bassin (décembre 2017). J’aimerais signer un beau 1 500 mètres et, pourquoi pas, battre mon meilleur chrono (15’05’’08 réalisés aux championnats de France 2017 de Strasbourg, ndlr). L’année prochaine, j’ai aussi à cœur de conserver mes titres sur 800 et 1 500 m nage libre aux championnats de France de Saint-Raphaël (mai 2018). C’est également là-bas que se joueront les qualifications pour les Euro de Glasgow. J’aimerais pouvoir me qualifier pour les épreuves de bassin et celles d’eau libre, mais n’allons pas trop vite. La saison vient tout juste de commencer, je verrai dans quel état de forme je suis avant de me projeter sur le rendez-vous estival.

Cet été, justement, les épreuves d’eau libre se disputeront dans le Loch Ness, un site pour le moins mystérieux. Ne crains-tu pas les créatures qui pourraient se dissimuler dans les eaux de ce lac ?

(Il rit)… Non, c’est surtout excitant et c’est aussi un des aspects les plus beaux de la discipline. On nage quand même dans des lieux mythiques. Cette année, c’est le Loch Ness, mais il y a deux ans, c’était la plage de Copacabana.

Marc-Antoine avec sa médaille de bronze du 10 km autour du cou lors des Jeux de Rio (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Contrairement aux Jeux Olympiques, les courses continentales de cet été se nageront en eau froide.

Il va falloir s’y préparer car on sait qu’il faudra nager en néoprène. Pour moi, le néoprène est surtout utilisé dans les épreuves de triathlon, mais pas en eau libre. En plus, ça ne m’avantagera pas.

Pourquoi ?

Parce que je suis plus léger que la majorité de mes adversaires et qu’avec la combinaison en néoprène, je suis trop haut sur l’eau. Ça ne me convient pas vraiment, donc cet été, peut-être que je ne serais pas dans les meilleures conditions pour performer…

Reste qu’après une médaille de bronze olympique et deux titres de champion du monde (5 km et relais mixte aux Mondiaux de Budapest, ndlr), tu seras attendu. Est-ce que ce statut constitue une source de pression ?

Ce n’est pas parce que les conditions seront difficiles que je ne vais pas me préparer au maximum. Il faudra d’ailleurs programmer des sorties en mer avec la combinaison néoprène pour ne rien laisser au hasard. Mais je travaille suffisamment dur toute l’année pour être performant aux championnats d’Europe.

Marc-Antoine sur la plus haute marche du podium du 5 km des Mondiaux de Budapest (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Plus généralement, as-tu le sentiment d’être désormais l’une des figures de proue de l’eau libre française ?

C’est sûr que mon statut a un peu changé. C’est un plaisir de voir le public s’intéresser à notre sport, comme ce fût notamment le cas en septembre dernier, lors de la seconde édition de la Fluctuat à Paris. A ce titre, j’ai un peu la responsabilité de continuer à engranger des résultats pour soutenir le développement de l’eau libre. D’autant qu’il me semble que notre sport s’inscrit pleinement dans les tendances actuelles…

C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, les gens sont friands de défis en milieu naturel. Ils veulent repousser leurs limites tout en découvrant de nouveaux espaces. Voilà pourquoi je suis convaincu que notre discipline n’a pas fini de faire parler d’elle. Alors si en plus on parvient à décrocher des médailles, c’est encore mieux.

Sans compter que les Jeux Olympiques de Paris se profilent à l’horizon 2024.

Ce sera un rendez-vous immanquable, d’autant que les épreuves se disputeront dans la Seine. Il se peut d’ailleurs que l’eau libre soit LE sport des Jeux de 2024 ! Pour moi, en tout cas, c’est un objectif important. Avant, il faudra bien négocier les Jeux de Tokyo, en 2020, mais il est certain que nager à Paris, devant son public et sa famille, n’a rien d’anodin. J’espère que je serai qualifié et que je ferai mieux qu’à Rio (sourire)

(KMSP/Stéphane Kempinaire).

Où étais-tu le 13 septembre dernier, le jour où les Jeux de 2024 ont été attribués à Paris ?

A l’entraînement, mais je suis monté à Paris le 15 septembre pour célébrer cette victoire au Palais de l’Elysée. C’était émouvant parce que c’est déjà la résidence du président de la République, et puis il y avait plein de grands champions, dont Aurélie (Muller), Benjamin (Auffret) et Julien (Issoulié), notre nouveau DTN.

Il y avait aussi Alain Bernard, avec lequel tu as partagé un selfie.

Oui, c’est toujours sympa de le retrouver car c’est un nageur qui a marqué l’histoire de la natation. Ce n’est pas tous les jours que l’on croise un champion olympique du 100 m nage libre. Alain Bernard, ça a été un exemple pour moi. Un titre aux Jeux, c’est la récompense ultime. Qui mieux que lui sait tous les efforts qu’il faut fournir pour se hisser sur un podium olympique ?

Alain s’est, bien évidemment, félicité de voir Paris accueillir les Jeux en 2024, mais il a aussi rappelé que cette grande fête devait également contribuer à développer le sport en France. Partages-tu son point de vue ?

Grâce à l’eau libre, j’ai eu l’occasion de voyager à travers le monde entier. Certains équipements, notamment aux Etats-Unis ou en Australie, n’ont pas d’équivalent en France. En France, on aime le sport, c’est certain. Pour autant, nous manquons de culture sportive. Alors oui, les Jeux de 2024 doivent permettre d’attirer davantage de gens vers le sport.

(KMSP/Stéphane Kempinaire).

Quel était ton rêve quand tu as débuté la natation ?

Au début, comme tous les enfants, ma pratique était purement ludique. Plus tard, quand j’ai pris conscience que j’avais des qualités, je me suis intéressé de plus près au haut niveau. De fil en aiguille, je me suis retrouvé en équipe de France d’eau libre à rêver de podium aux Jeux Olympiques.

Ce rêve-là s’est réalisé à Rio. Quel est le suivant ?

Le titre olympique (sourire)

A Tokyo ?

Ce sera la première étape. Ensuite, il y aura les Jeux à Paris. Mais n’allons pas trop vite… D’ici 2020, les objectifs ne manquent pas. Chaque année, il y a une grande compétition à disputer. Il faut franchir tous les obstacles.

(KMSP/Stéphane Kempinaire).

Quels ont été les premiers Jeux que tu as suivis ?

Ceux de Pékin, en 2008. Je me rappelle, j’étais chez mes grands-parents sur la Côte d’Azur et je suivais tous les sports. Je me souviens du titre d’Alain Bernard et de m’être dit : « Pourquoi pas moi ? ».

Cette année-là, l’eau libre signait son entrée dans le programme olympique et Aurélie Muller, ta partenaire d’entraînement, était la représentante tricolore sur 10 km.

Ça montre à quel point Aurélie est une immense championne. Pourtant, je dois le reconnaître, je n’avais pas suivi l’eau libre à Pékin… Comme quoi, rien ne me prédestinait à m’orienter vers cette discipline. En fait, j’y suis venu un peu par hasard. A ce titre, je trouve que le travail de détection que réalise Stéphane Lecat (directeur de la discipline) auprès des jeunes est formidable. Océane Cassignol et Logan Fontaine n’ont que 17 et 18 ans, mais ils ont déjà été titrés avec le relais mixte cet été à Budapest (en compagnie d’Aurélie Muller et de Marc-Antoine Olivier, ndlr).

Tu n’es pas non plus très âgé. Pourtant, du haut de tes 21 ans, tu affiches déjà l’expérience d’un vieux briscard. Comment l’expliques-tu ?

Le mérite en revient principalement à Stéphane. Il est capable de repérer les jeunes qui disposent d’un potentiel et de les amener progressivement à l’eau libre. Il sait aussi établir les stratégies qui leur conviennent et sur quoi travailler à l’entraînement.

(KMSP/Stéphane Kempinaire).

En dépit de ton attachement à l’eau libre, tu sembles de plus en plus séduit par les épreuves de bassin.

C’est vrai que j’aimerais vraiment travailler le 1 500 m nage libre et signer de belles performances. Ce n’est pas du tout le même effort. Ça demande d’être musculairement très au point. Mais, ce qui est certain, c’est que si je nage vite en bassin, ça sera bénéfique en eau libre, où de plus en plus de nageurs viennent s’essayer.

Que t’inspires les 14'48’’90 (record de France) que Damien Joly a signé en séries du 1 500 m nage libre des Jeux Olympiques de Rio ?

C’est une énorme performance ! Mais de toute façon, Damien est un très grand nageur de 1 500 mètres. Je trouve d’ailleurs que le niveau général du demi-fond français ne cesse de progresser. Il y a Damien, bien sûr, mais il ne faut pas oublier Joris (Bouchaut) et Nicolas (D’Oriano).

Marc-Antoine Olivier en compagnie de Joris Bouchaut (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Quelles sont tes ambitions sur 1 500 m nage libre ?

J’aimerais me qualifier aux Euro de Glasgow en bassin et en eau libre. A terme, j’espère également pouvoir m’aligner aux Jeux de Tokyo. Cette année, je me sens capable de mener ces deux objectifs de front.

Pas l’année prochaine ?

Non, parce que nous serons alors à deux ans des Jeux de Tokyo. Et puis, c’est la saison prochaine que se jouera la qualification olympique en eau libre. Il faudra être très concentré car la concurrence sera rude. Nous serons cinq pour deux places : Axel Reymond, Logan Fontaine, David Aubry, Clément Batté (16 ans et champion d’Europe junior du 7,5 km, ndlr) et moi.

Quelle densité. C’est impressionnant !

Oui, mais ça n’est pas vraiment surprenant. Plus on enregistre des résultats et plus cela crée une émulation collective. Les jeunes ont envie d’intégrer l’équipe de France et de nous imiter. Logan en est l’exemple parfait. A seulement 18 ans, il réalise déjà de grandes performances. Il est champion du monde avec le relais et s’est classé huitième du 5 km aux Mondiaux.

(KMSP/Stéphane Kempinaire).

En parlant de Budapest, as-tu le sentiment qu’une « famille » est née en Hongrie ?

Pour la plupart, nous nous connaissons depuis nos années juniors. David (Aubry), ça fait huit ans qu’on se côtoie. Avec Axel, nous nagions dans les catégories jeunes. Logan s’entraînait à Rouen, où je nageais avant de rejoindre Philippe Lucas. Quant à Aurélie, nous avons fait connaissance lors des Euro de Berlin en 2014. Alors oui, nous sommes bel et bien une grande famille (sourire)

Que retiens-tu des championnats du monde de Budapest ?

L’ambiance qui régnait au sein du groupe national. Les résultats sont exceptionnels, mais au-delà des émotions individuelles, nous avons vécu et partagé une grande aventure collective.

L'équipe de France d'eau libre vainqueur du Team Event aux Mondiaux de Budapest (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Reste que sur le plan personnel, tu as été un des grands nageurs de la compétition hongroise.

La victoire sur le 5 km, je la voulais ! Après, sur le 10 km, j’ai essayé des choses, mais tout n’a pas fonctionné. Il ne faut pas non plus oublier que certains de mes adversaires s’étaient préservés en ne s’alignant pas sur le 5 km. Honnêtement, je n’ai aucun regret ! Je visais un titre et une médaille par équipe. Au final, je décroche un titre individuel, un autre en relais et un bronze sur le 10 km.

En dépit des résultats extraordinaires enregistrés par l’équipe de France aux Mondiaux de Budapest (six médailles, dont quatre en or, ndlr), on a l’impression que la discipline peine à attirer des sponsors. N’est-ce pas un peu frustrant ?

Le jour où je nagerai pour l’argent, j’arrêterai ! Si à 21 ans, je n’étais pas passionné par ma discipline, les résultats ne suivraient pas. Et puis, franchement, je ne crois pas que nous soyons en position de nous plaindre. Nous sommes des privilégiés. Alors, c’est vrai que nos charges de travail peuvent impressionner, mais le public ne doit pas oublier que nous faisons ce que nous aimons. Sinon, je ne vois pas comment on pourrait s’infliger ça sans rechigner (sourire)

Recueilli par A. C.

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