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Confiné depuis le 17 mars à Antibes, Alain Bernard prend son mal en patience à l'instar de tous les Français. Si la tentation de sortir le titille de temps à autres, il n’en demeure pas moins conscient des enjeux d’un confinement qui doit permettre de ne pas engorger les services hospitaliers. Tout en gérant ses activités professionnelles, le champion olympique 2008 du 100 m nage libre n’en oublie pas ses responsabilités au sein de la Fédération Française de Natation. A ce titre, il s'emploie à faire entendre la voix des nageurs de haut niveau qui traversent actuellement une période aussi inédite que délicate à gérer. Avec le report des Jeux olympiques de Tokyo, c’est tout une planification qu’il faut revoir.

Où es-tu confiné ?

Le vendredi 13 mars, j’étais parti avec ma copine pour faire quatre jours de ski à Tignes. On a pu skier deux jours, mais le samedi soir, le discours du Premier ministre a un peu plombé l’ambiance. On a réussi à rester une journée de plus (dimanche 15 mars) pour éviter les embouteillages. On est finalement redescendu à Antibes le 16 mars pour se confiner le mardi 17 mars. Depuis, nous sommes dans notre appartement. Heureusement, c’est vivable ! Nous disposons d’une belle terrasse et d’un petit jardin qui permet de s’aérer.

Dans quel état d’esprit appréhendes-tu ce confinement ?

J’étais parti pour plusieurs semaines de déplacement intense avec des événements et différentes prises de parole dans le cadre de mes activités. Il a donc fallu revoir mes plans. Mais ce n’est pas plus mal en fin de compte…

Pourquoi ?

J’ai pu mettre un peu d’ordre dans mes affaires. C’est seulement quand j’ai compris que le confinement allait durer que je me suis vraiment rendu compte de ce que représentait cette période exceptionnelle. Le bon côté de la chose, c’est que le confinement est tombé au moment où l’activité d’infographiste de ma copine commençait à démarrer. Jusqu’alors, c’était un peu en dents de scie, mais là, brusquement, elle a eu plusieurs contrats coup sur coup. Forcément, cela a détendu l’atmosphère. On se retrouve donc tous les deux en télétravail à gérer nos activités respectives. Ça crée une dynamique de travail propre à supporter le confinement.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

N’est-il pas trop difficile cependant de rester enfermé toute la journée, même avec des activités à mener de front ?

C’est sûr que la tentation est grande d’aller se balader, mais il est primordial de respecter les règles de confinement. Elles sont les mêmes pour tout le monde et il est fondamental d’endiguer cette épidémie en les respectant scrupuleusement. On a quand même été faire un petit jogging dans les premiers jours, mais tu as vite fait de culpabiliser parce que tu ne croises personne. L’atmosphère dans la ville est quand même très particulière...

C’est-à-dire ?

Le confinement est bien respecté. Le maire d’Antibes a même publié un mot sur les réseaux sociaux pour féliciter ses administrés. De manière générale, je trouve que l’on est bien informé. On sait ce qui se passe dans la ville, on est tenu au courant de l’évolution de la situation.

As-tu ressenti le besoin de t’investir localement pour soutenir la lutte contre le COVID-19 ?

J’ai adressé un mail à l’antenne de la Croix-Rouge d’Antibes pour proposer mes services. Ils m’ont appelé à trois reprises pour aller servir des paniers repas aux sans-abris. Je me tiens disponible s’ils ont à nouveau besoin de renfort.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

C’est important pour toi d’apporter ta pierre à l’édifice ?

J’ai besoin de me sentir utile, de prêter main-forte quand l’occasion se présente. Ça donne du sens à l’existence et dans la période que nous traversons, c’est encore plus important. D’autant que je dispose de temps. Ce serait quand même regrettable de ne pas le mettre à profit pour une juste cause.

Cette période extraordinaire de confinement peut-elle permettre de démocratiser le sport en France ?

Difficile de répondre à cette question... On ne sait pas si le sport va s’installer durablement dans notre environnement quotidien, mais ce qu’il y a de certain, c’est que ça ne fait de mal à personne. Je note quand même qu’on n’a jamais vu autant de joggeurs depuis le début du confinement. C’est bien le signe qu’il y a un intérêt. J’ai presque envie de croire naïvement que cette période va nous aider à grandir et à prendre du recul sur tout ce que l’on fait machinalement, que ce soit par le sport, le respect de l’autre, la nutrition, l’entraide, la bienveillance ou la solidarité. On est quand même tous dans le même bateau. Ça, il va bien falloir qu’on le comprenne à un moment ou à un autre !

Il n’empêche, ce confinement représente, pour les athlètes de haut niveau, une épreuve particulièrement difficile à négocier. D’autant plus pour les nageurs qui ont besoin d’accumuler les kilomètres pour performer au plus haut niveau.

Je pense énormément à tous les sportifs de haut niveau qui traversent cette épreuve, en particulier aux nageurs qui ont besoin d’être dans l’eau et d’enchaîner les longueurs. Ce n’est pas en barbotant dans une baignoire ou en prenant des douches que tu retrouves des sensations de glisse. Il faut nager. Ce contact avec l’eau est primordial. Cela fait des millions d’années que l’homme marche sur terre, mais cela ne fait qu’un siècle qu’ils s’expriment réellement dans l’eau. C’est aussi pour cela que c’est une discipline qui demande énormément de travail. C’est pour cette raison, et en conscience de ces difficultés, que j’ai défendu l'idée que notre institution réclame un report des Jeux olympiques lors du dernier Comité directeur (vendredi 20 mars). Le président Gilles Sezionale s’était prononcé en faveur d’un report et les élus ont suivi. Le monde de la natation a plus ou moins bien accepté cette proposition, mais je crois qu’il était de notre devoir de prendre position. Il n’y a rien de pire pour un sportif que d’être dans le flou. Je ne sais pas de quelle manière j’aurais réagi en tant qu’athlète, mais j’essaie malgré tout d’être actif à mon niveau pour apporter des éléments de réponse. Mon rôle au sein du Comité directeur, c’est celui-là, puiser dans mon expérience pour défendre les nageurs de haut niveau et faire entendre leur voix.

(DPPI/Stéphane Kempinaire)

La FFN a assumé ses responsabilités avec force et détermination.

Indéniablement, même si, pour moi, c’est juste du bon sens ! Certains techniciens tricolores ont proposé de regrouper les meilleurs nageurs tricolores dans un centre d’entraînement. J’ai compris leur position. Ils étaient dans leur rôle. Cependant, dans le contexte du confinement, ce n’était pas envisageable. Il m’a semblé plus rationnel que la fédération demande officiellement le report des Jeux olympiques.

L’incertitude est levée sur les Jeux, mais le doute plane encore sur la sortie de confinement synonyme de reprise de l’entraînement.

Il faut bien comprendre que les nageurs coupent, en général, deux à trois semaines par an. Après avoir disputé la compétition internationale de l’été, ils s’aèrent l’esprit avant de retrouver rapidement leur bassin d’entraînement. Là, nous en sommes à quatre semaines et rien ne dit que le confinement ne se prolongera pas jusqu’à la fin mai. C’est énorme comme interruption ! Les exercices de gainage et le sport à la maison, c’est une chose, mais ça ne remplacera jamais les appuis dans l’eau et l’enchaînement des longueurs de bassin. Moi, je me rappelle qu’à Antibes, on coupait le samedi midi avant de reprendre le lundi matin. En une journée et demie j’avais déjà des pertes de sensations, alors un mois ou davantage, c’est colossal !

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Le report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo peut-il permettre d’accélérer l’émergence de la relève tricolore ?

C’est une bonne question (il réfléchit)… En octobre 2019, j’ai eu l’opportunité de suivre pendant deux jours le stage relève des garçons à Font-Romeu. Franchement, j’ai été agréablement surpris par leur investissement, leur rigueur et leur discipline ! J’ai trouvé que ces garçons étaient mâtures pour leur âge et j’ai vraiment senti quelque chose, une envie de réussir et de performer au plus haut niveau. D’ailleurs, ce n’est pas anodin que sur les championnats de France 25 mètres à Angers, début décembre, autant de meilleures performances de catégories d’âge aient été battues, qui plus est des MPF de Laure Manaudou, de Camille Muffat ou de Yannick Agnel. Il y a du potentiel, c’est certain ! J’ose maintenant espérer que cette année supplémentaire leur permettra de se qualifier pour les Jeux de Tokyo alors qu’ils auraient peut-être été un peu juste cette année.

Qu’en est-il, pour finir, du délai de trois ans qui va désormais séparer les Jeux de Tokyo de ceux de Paris en 2024 : peut-il avoir une incidence sur la préparation des nageurs ?

Difficile à dire ! J’espère en tout cas qu’il aura une bonne incidence et qu’il obligera les athlètes à mettre la tête dans le guidon pour se préparer à fond. Peut-être que trois années permettront de se projeter plus facilement sur l’échéance parisienne. L’avenir nous le dira ! Dans tous les cas, ce sera la même chose pour tout le monde. Tous les athlètes doivent saisir cette situation comme une opportunité. Il faut accepter et faire avec pour exprimer pleinement ses qualités. Il va leur falloir beaucoup de courage, mais il faut malgré tout continuer de croire en ce rêve olympique.

Recueilli par Adrien Cadot

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