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Nommé Directeur des équipes de France depuis le mois de septembre dernier, le Néerlandais Jacco Verhaeren a pris le temps de visiter les plus grands clubs tricolores et de rencontrer les entraîneurs et les nageurs du collectif national. A l’aube de cette olympiade raccourcie d’un an qui s’achèvera à Paris en 2024 et à l’issue des championnats du monde d’Abu Dhabi en petit bassin (16-21 décembre), il dresse le bilan des premiers mois de son mandat et de sa vision pour l’avenir de la discipline.

Pour commencer, parlez-nous de votre prise de fonction. Comment s’est-elle déroulée ? L’environnement de la natation tricolore vous séduit-il ?

D’abord, je tiens à dire que tous les gens que j’ai rencontré depuis le mois de septembre m’ont incroyablement accueilli, aussi bien les nageurs, les entraîneurs que les membres du staff de l’équipe de France. C’est un plaisir d’évoluer au sein de ce collectif national. Tout le monde a pris le temps de m’expliquer son rôle et ses missions afin que je dispose d’une vue générale.

Le DTN Julien Issoulié nous a confié que vous aviez rapidement entamé avec Denis Auguin (en charge de la relève) et Stéphane Lecat (responsable de l’eau libre) un tour de France des clubs. Combien en avez-vous visité ?

Je me suis pour l’instant concentré sur les tops clubs, ceux qui regroupent des nageurs de l’équipe de France : Marseille, Martigues, Antibes, Nice, l’INSEP, Béthune, Amiens, Toulouse et Font-Romeu. Pour moi, il était fondamental de m’imprégner de l’environnement de ces structures afin de comprendre leur fonctionnement et d’évaluer les outils dont elles disposent, tant en termes d’infrastructures que sur le plan médical ou technologique. C’est une première phase d’observation. Dans les prochains mois, je serai davantage focus sur la conception d’un projet général de performance qui balisera les trois prochaines saisons qui nous mèneront jusqu’aux Jeux de Paris en 2024.

Jacco Verhaeren (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

De ce qui vous a été donné d’observer jusqu’alors, considérez-vous que la collaboration entre les clubs et les entraîneurs tricolores est efficiente ou des obstacles se dressent-ils sur la route des Jeux de Paris ?

Non, il n’y a pas d’obstacles, mais je pense que l’on peut améliorer certaines choses pour faciliter les échanges et progresser tous ensemble. Il faut bien comprendre que les entraîneurs sont focalisés sur leur programme, ce qui est parfaitement normal, mais il importe de les impliquer davantage dans le projet de l’équipe de France afin que nous puissions travailler conjointement, notamment sur les relais.

Qu’est-ce qui est le plus important pour vous : le collectif ou l’individu ? Après tout, la natation, quoi qu’on en dise, demeure un sport individuel.

Les deux fonctionnent ensemble ! La priorité, c’est de décrocher des médailles, individuellement ou collectivement. Cependant, je suis convaincu que l’on est plus fort en groupe. Il en va d’ailleurs de même sur le débat autour des compétitions en petit ou grand bassin. En France, la culture du 25 mètres est moins développée. La priorité est donnée aux Jeux olympiques, aux championnats du monde et aux Euro en grand bassin, mais on ne peut pas négliger les épreuves en petit bassin.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que ces rendez-vous constituent une occasion de se confronter à l’élite mondiale tout en emmagasinant de l’expérience et du vécu sur la scène internationale. Marie-Ambre Moluh, par exemple, est une jeune nageuse qui disputait aux Mondiaux d’Abu Dhabi (16-21 décembre) sa première compétition internationale. Nous n’attendions pas qu’elle monte sur un podium, mais bien qu’elle apprenne de cette expérience. La prochaine fois qu’elle se retrouvera dans cette situation, elle saura comment s’y prendre et surtout comment gérer ses émotions. Elle saura s’adapter et là, les performances suivront. Le message que je veux faire passer aux coaches français est le suivant : vous ne pouvez pas seulement vous contenter de bâtir des programmes et d’entraîner vos nageurs, il faut aussi leur apprendre à maîtriser l’environnement de la compétition !

Olivier Nicolas, manager de l’équipe de France, Jacco Verhaeren, directeur des équipes de France, Céline Leverrier, analyste vidéo, et Denis Auguin, en charge de la relève, échangent lors des championnats d’Europe de Kazan en petit bassin (novembre 2021) (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Pour résumer, on pourrait presque dire que vous ne voulez pas de « champion du monde de l’entraînement ». C’est bien cela ?

Absolument ! Pour changer cette culture et cette approche de l’entraînement, il est fondamental de prendre part à des compétitions internationales en petit ou grand bassin. C’est dans ce cadre que se forgent des performances et des champions, c’est en enchaînant des séries, des demi-finales et des finales que les nageurs français vont grandir et mûrir. C’est en se confrontant aux meilleurs que l’on devient meilleur. Ce que j’ai eu l’occasion de voir dans les clubs français depuis le mois de septembre est très intéressant : les nageurs tricolores s’entraînent très dur. Ça ne fait aucun doute. Mais parfois trop…

C’est-à-dire ?

J’ai moi-même était entraîneur (il a notamment coaché le sprinter Pieter van den Hoogenband, double champion olympique du 100 m nage libre à Sydney et Athènes, ndlr) et je sais qu’on a toujours envie d’en faire plus au risque d’en faire trop. L’enjeu consiste à trouver un bon équilibre entre l’entraînement et la compétition sans jamais oublier que l’on s’entraîne toujours pour cette-dernière.

Philippe Lucas ne dit d’ailleurs pas autre chose. Il affirme que l’équipe de France dispose de grands nageurs, d’entraîneurs compétents et qu’il importe, à présent, de se mettre au travail pour gagner des médailles à Paris en 2024.

Je suis d’accord avec lui. Philippe est un coach incroyable, sans doute l’un des plus grands de la natation mondiale, mais sa méthode n’appartient qu’à lui. On ne peut pas la dupliquer. Chaque technicien travaille à sa manière. Bien sûr, il faut s’entraîner dur, mais les programmes de développement sont propres à chaque entraîneur.

Et vous, quel est votre rôle auprès des techniciens tricolores ?

Je suis là pour fixer une ligne directrice. J’observe, mais je n’interfère jamais dans le travail des entraîneurs. Si on me pose la question, je m’autorise des suggestions. De toute façon, il n’y a pas de « UNE » méthode dans le sport de haut niveau. Chacun est libre de créer et d’innover. Et de ce que j’ai vu jusqu’alors, les techniciens tricolores ne manquent ni de compétences ni d’idées. Moi, je suis là pour leur faciliter les choses.

(Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire)

Vous confirmez donc que toutes les conditions sont réunies en France pour faire de la haute performance.

J’en suis convaincu ! Tout est là, il faut simplement organiser les choses et échanger davantage pour avancer tous ensemble vers les Jeux de Paris 2024.

Trois ans nous séparent de cette échéance cruciale pour la natation et le sport français. Considérez-vous que ce délai est suffisant pour permettre à la discipline de renouer avec ses succès d’antan ?

Le délai est le même pour tout le monde ! Le contexte sanitaire a bouleversé le calendrier international. Les Jeux de Tokyo ont été reportés d’un an. Il faut s’adapter et travailler en conséquence. Chacun doit trouver les réponses pour aborder les Jeux de Paris dans des conditions optimales. Voilà notre mission. N’oublions cependant pas que dans le sport de haut niveau rien n’est jamais parfait, en France comme à l’étranger. Il faut sans cesse optimiser les délais, faire avec les contretemps et les obstacles, s’adapter et trouver des solutions pour performer. Les Français l’ont d’ailleurs démontré par le passé. Pendant plus de dix ans (2004-2016), les nageurs tricolores ont remporté des titres et des médailles sur tous les continents et dans toutes les compétitions de la planète. S’ils l’ont fait, ils peuvent le refaire.

L’objectif n’en demeure pas moins colossal. Ressentez-vous de la pression ?

Quand on est un entraîneur, on est toujours sous pression. Il faut apprendre à vivre avec, il faut l’apprivoiser. Le jour où elle disparaît, c’est qu’il est temps de faire autre chose. La pression, il faut aussi la prendre comme un moteur, un carburant et une source d’inspiration et de motivation. A mon sens, si elle est maîtrisée et contrôlée, elle est une source de progression pour les entraîneurs comme pour les nageurs.

(Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire)

Quel regard portez-vous sur la relève tricolore ?

C’est sans doute ma plus grande surprise depuis que je suis Directeur des équipes de France. Vous disposez de beaucoup de piscines, de beaucoup de nageurs et d’entraîneurs. Beaucoup plus qu’aux Pays-Bas, par exemple, mais il est vrai que vous manquez de « profondeur »… comment dit-on déjà ?

D’un vivier ?

Oui, voilà, un vivier (sourire)… Une de mes missions, avec l’aide de Denis (Auguin, en charge de la relève), sera de travailler sur cet aspect dans les prochaines années. D’abord, il faut bien comprendre que les jeunes ont changé. Ce ne sont plus ceux d’il y a vingt ans…

Qu’entendez-vous par-là ?

Aujourd’hui, les jeunes veulent s’amuser. Ils cherchent des activités fun. Le plaisir compte énormément pour eux. Je dirais même que c’est leur moteur. S’ils ne prennent pas de plaisir, ils vont voir ailleurs et changent de discipline. Il me paraît donc important de les intéresser, de trouver le moyen de les captiver tout au long de leur adolescence, de leur donner envie de s’investir et de travailler, surtout entre 12 et 15 ans. Bien sûr, il faut s’entraîner et apprendre, mais on peut le faire différemment et proposer des séances ludiques sans négliger la technique, l’investissement et la rigueur. On ne peut pas traiter les jeunes nageurs comme de « mini-olympiens ».

Recueilli à Abu Dhabi par Adrien Cadot

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