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Présent à l’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance la semaine dernière dans le cadre de la 2ème Rencontre Sport Science & Aquatics Data, Jacco Verhaeren en a profité pour présenter son projet et sa vision aux entraineurs, nageurs et scientifiques présents. Le nouveau directeur des équipes de France de natation course et d’eau libre nous a également accordé un entretien pour évoquer ces différents sujets.

Quel était l’objectif du colloque des entraîneurs qui s’est tenu à l’INSEP le week-end dernier ?

Je pense que l’objectif d’un tel regroupement est toujours dans un premier temps de rassembler les gens. Les entraîneurs, les scientifiques et les experts ont pu échanger et partager leurs idées. Il est important que les entraîneurs puissent se rendre compte des outils qu’ils peuvent avoir à disposition pour les aider dans leur pratique.

Avez-vous eu recours à ces outils technologiques en Australie notamment ?

Ce sont des choses qui sont effectivement utilisées là-bas. Mais je pense que chaque pays essaie de trouver les outils qui pourraient leur permettre de progresser et de nager plus vite. En Australie, il y a de nombreux outils pour augmenter la vitesse des nageurs, analyser les courses, améliorer la qualité du sommeil ou de l’alimentation. Je vois des choses similaires en France. Il n’y a pas une solution unique adaptée à tout le monde, mais je pense que nous disposons également ici d’outils qui peuvent nous aider à progresser.

Pensez-vous que la natation tricolore dispose malgré tout d’un certain retard par rapport à d’autres nations ?

Je ne dirais pas que la France est en retard. Vous savez, il y a un moment et endroit pour chaque chose. Quand je suis arrivé en Australie, il y avait déjà des choses qui existaient, mais ces six dernières années j’ai vu beaucoup d’experts et de scientifiques collaborer avec les athlètes et leurs entraîneurs. Pour autant, tous les coaches n’utilisaient pas ces outils de la même manière. Certains ne juraient que par ça, d’autres les utilisaient avec parcimonie. L’important est qu’ils avaient la possibilité d’avoir accès à tous ces outils s’ils le souhaitaient.

Jacco Verhaeren (Photo: AFP)

Pensez-vous que la perspective de Paris 2024 peut aider à développer ce genre d’outils et à donner envie aux entraîneurs de les utiliser ?

Vous savez, nous sommes une discipline olympique. Les JO, c’est un rêve pour tous les athlètes, les entraîneurs et les fédérations. Recevoir cet événement dans son pays est quelque chose d’incroyable. Je suis certain que cela va accélérer les choses dans tous les domaines. Je pense que c’est important que chacun sache puisse découvrir de nouvelles méthodes et de nouveaux outils.

Avez-vous senti un intérêt des entraîneurs pour les outils présentés lors de ce colloque ?

Je pense que c’est très important que les entraîneurs aient montré une envie et une attente particulière à participer à ce colloque. C’est un bon point de départ. Ensuite, et c’est ce que je leur ai dit dans ma présentation, je suis certain que s’ils se rendent compte qu’un des outils présentés peut leur permettre de modifier leur méthode positivement et de faire progresser leurs athlètes, alors ils l’intégreront très rapidement dans leur programme.

Que retenez-vous de vos échanges avec les entraîneurs français ?

Les trois dernières semaines, je me suis rendu dans différentes structures d’entraînement avec Denis Auguin. C’était important pour moi de voir où les nageurs du collectif national s’entraînaient. Je pense qu’il y a dans le pays des structures magnifiques, l’INSEP en fait partie. C’est un très bon début. J’ai également interrogé les entraîneurs sur le chemin qu’ils souhaitent emprunté au cours de cette olympiade pour conduire leurs nageurs au succès. De quelle manière préparent-ils les championnats d’Europe, les Mondiaux, quel est le programme de la saison ? Ensuite, je leur ai demandé de quoi avaient-ils besoin pour réussir.

Photo: AFP

Quels ont été vos premières impressions ?

Elles ont été très bonnes. Les entraîneurs souhaitent collaborer. Ils sont passionnés, et ce n’est d’ailleurs pas une surprise pour moi.

Pensez-vous qu’il sera facile d’emmener tout le monde dans la même direction ?

Ce n’est pas le mot que je choisirai. Et de toute façon, nous ne travaillons pas pour la facilité, mais plutôt sur le meilleur chemin pour arriver au succès. Il y a des intérêts individuels et les intérêts de l’équipe de France. C’est ce que nous devons réussir à combiner. Ce ne sera pas forcément évident parce que chaque entraîneur a ses propres idées, mais c’est ce partage d’opinions qui nous rendra plus forts.

Justement, ces dernières années on a senti qu’il n’était pas toujours évident pour tous les entraineurs de collaborer de cette manière. Est-ce une spécificité française ?

Je pense qu’il y a toujours une part de tension entre les fédérations d’une part et les entraineurs et les athlètes d’autre part. C’est le cas dans tous les pays et ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Ce n’est pas une spécificité française et cela provient de la passion que tous ces acteurs ont pour ce sport et leur volonté d’obtenir les meilleurs résultats.

Jacco Verhaeren lors du colloque organisé à l'INSEP les 1er et 2 octobre 2021 (FFN)

Quel bilan faites-vous des Jeux olympiques de Tokyo pour la natation tricolore ?

Je pense que les résultats sont ceux qui étaient attendus, même si certains nageurs auraient espéré une autre issue. Personnellement, je ne me focalise pas tous les jours sur le nombre de médailles que l’on pourrait remporté. Je reste concentré sur la manière dont on pourrait progressé  et conduire le maximum d’athlètes vers le très haut niveau. Les médailles ne sont ensuite que le résultat de tout ce travail. Je pense que nous devons regarder devant nous et observer le chemin qui nous attend. Tokyo était simplement un point de départ. Mon avantage est que je ne suis pas imprégné de l’histoire et de la culture du pays. Parfois c’est un désavantage parce qu’on ne sait pas toujours comment fonctionne les gens, mais je pense aussi que cela peut-être un avantage parce que si vous voulez progresser il faut accepter de changer certaines choses et c’est plus facile pour quelqu’un qui vient de l’extérieur.

Est-ce également plus facile de faire accepter cela aux entraîneurs lorsqu’on vient de l’étranger ?

Pour moi, la clé est de travailler avec les entraîneurs, les athlètes et l’ensemble du staff. Je veux vraiment faciliter la discussion entre toutes les parties pour que nous construisions le plan tous ensemble. Ce sont leurs Jeux olympiques, leur rêve. Nous devons construire le chemin qui y mène en étroite collaboration. Je ne penserai jamais que je suis le boss ou que quelqu’un d’autre l’est. Nous devons travailler tous ensemble.

Il ne reste que trois ans avant les Jeux de Paris. Pensez-vous que cela est suffisant pour reconstruire cette natation française ?

Il faut bien commencer à un moment donné. Il est vrai que trois années risquent de ne pas suffire pour reconstruire totalement la natation française. Mais je pense que le premier objectif est d’optimiser au maximum les compétences dont nous disposons. En même temps, nous travaillerons sur le futur. Paris 2024 sera très important pour les nageurs français mais nous devons aussi regarder plus loin et voir ce que nous pouvons mettre en place avec les jeunes athlètes, au niveau de la formation des entraîneurs etc.

Yohann Ndoye Brouard et Maxime Grousset ont assisté à ce colloque et ont pu tester certains outils (FFN)

Au delà de l’aspect purement sportif, pensez-vous que les mentalités doivent également évoluer pour que les nageurs arrivent en compétition en pensant qu’il est possible de gagner, comme cela était le cas auparavant ?

Il est important d’être réaliste quant aux objectifs, mais en même temps il faut avoir un bon état d’esprit. Les nageurs français doivent être conscients qu’ils disposent de magnifiques structures d’entraînement, d’une histoire incroyable avec la natation mondiale, de grands coaches. C’est un grand pays qui doit forcément comporter beaucoup de talents.

En avez-vous déjà identifié pour les Jeux olympiques de Paris 2024 ?

Il est encore tôt pour moi pour vous dire exactement quels seraient les potentiels médaillables à Paris. J’essaie de rester assez loin des objectifs chiffrés de médailles, mais aussi des nageurs qui pourraient décrocher une médaille. Je veux vraiment discuter avec les entraîneurs pour optimiser le potentiel de nos nageurs et en tirer le meilleur. Le reste en découlera.

Avez-vous déjà discuté avec Florent Manaudou ?

J’ai été en contact avec lui par messages. Je pense que nous serons amenés à nous rencontrer très prochainement. Florent est un grand nageur et une belle personne. Je l’ai compris assez rapidement en discutant avec les gens qui le côtoie en équipe de France. Il a joué un rôle essentiel à Tokyo. C’est un leader naturel pour cette équipe et un magnifique exemple de ce qu’est le sport de haut niveau. Je ne sais pas si l’avenir de la natation tricolore repose uniquement sur ses épaules, parce que les responsabilités doivent être partagées. J’espère qu’il continuera jusqu’aux JO de Paris et qu’il apportera tout son talent et son expérience à l’équipe de France.

Les présentations se sont enchainées. Ici sur le travail des coulées (FFN)

Avant les JO de Paris, il y aura des Euro et Mondiaux en petit bassin cet hiver. Quels seront les objectifs ?

Jusqu’en décembre, je suis en apprentissage. J’essaie d’apprendre la langue et je souhaite voir également comment se comporte les nageurs français lors de ces compétitions et le vivier sur lequel nous pourrons compter. Je le découvre en discutant avec les athlètes, les entraîneurs et des membres de la FFN. C’est une chance de pouvoir voir toutes ces personnes là en action dans une configuration de compétition. Je pense que ces deux compétitions arrivent très tôt après les JO et il est certain que nous ne verrons pas tous nos meilleurs nageurs sur ces échéances. Mais ce n’est pas un problème. Je verrai au moins comment l’équipe fonctionne et s’il est nécessaire d’apporter des changements. Je suis conscient que les JO sont dans trois ans, mais avant cela il faut gravir une marche après l’autre. Nous ne pouvons pas encore courir pour l’instant. Ce sera le cas en 2022, 2023 et 2024. Cette année, nous marchons tranquillement pour identifier tous les points importants à travailler. Et j’ai la chance d’avoir de nombreuses compétitions pour le faire, entre celles qui devaient avoir lieu et celles qui ont été reportées en raison du Covid.

Comment allez-vous suivre la progression d’un nageur comme Léon Marchand qui s’entraîne depuis la rentrée aux États-Unis avec Bob Bowman ?

Je pense que Léon a choisi le bon coach. C’est un entraîneur qui connait très bien les épreuves de papillon et de quatre nages. C’est un des meilleurs entraîneurs du monde. Ils vont devoir trouver la meilleure manière pour collaborer ensemble, mais je suis certain qu’ils vont y arriver. Je vais discuter avec Bob pour savoir ce qu’il a prévu avec Léon. Je compte aussi rencontrer Léon sur les compétitions avec l’équipe de France.

Quelle est la chose qui vous a le plus surpris dans la natation française ?

Je ne sais pas si quelque chose m’a particulièrement étonné. Je vais encore évoquer les infrastructures qui sont exceptionnelles. J’ai été à Antibes, Nice, Marseille, Martigues et cela me fait penser à la Gold Coast en Australie. Il y a aussi des divergences de point de vue, mais je pense que c’est une bonne chose. Certains peuvent penser que cela peut-être trop difficile à gérer, mais avec de la discussion et des échanges, je suis persuadé que nous arriverons à trouver les meilleurs outils pour progresser. Il ne faut pas oublier que notre objectif commun est la haute performance.

FFN

Avez-vous déjà une idée des critères de qualification que vous souhaitez mettre en place sur le chemin de Paris ?

J’ai quelques idées sur la manière dont cela pourrait se passer. Mais ici le conditionnel est important. Nous pourrions nous baser sur les standards FINA A. Mais ce ne sera jamais suffisant pour décrocher une médaille internationale. C’est le message. Pour moi ce n’est pas tellement la question des critères qui est importante mais plutôt le rêve des nageurs à aller plus haut que ça. Nous avons décidé d’organiser les championnats de France qualificatifs pour les Mondiaux de Fukuoka cinq semaines avant l’échéance, parce que je pense que c’est une bonne stratégie. Mais ce sont des choses que nous devons essayer. À l’issue des championnats du monde de 2023, nous pourrons ajuster certaines choses. Cette année nous devons tester des choses pour essayer de trouver le meilleur programme pour nos nageurs. Il y a un plan mais il n’est pas encore figé.

Les standards A ne seront donc pas suffisants.

Ils pourraient l’être pour se qualifier, mais ils ne le seront jamais pour gagner.

Ces dernières années, les critères ont déjà beaucoup évolué.

Parfois, les gens compliquent les choses. Les intentions sont bonnes parce qu’ils construisent toujours une stratégie qui doit permettre de remporter davantage de médailles. Mais à mon humble avis, ce n’est pas les critères de sélections qui sont importants, mais de quelle manière les nageurs se projettent au-delà de ces critères. Des athlètes comme Pieter Van den Hoogenband ou Ranomi Kromowidjojo ne se sont jamais souciés des critères. Et je pense que c’est la même chose pour Alain Bernard, Yannick Agnel, Camille Muffat ou Florent Manaudou. Ils se qualifient mais leur rêve est plus grand que ça. Peu importe les critères, il faut rêver plus grand, trouver le bon processus et suivre cette voie.

Recueilli à l’INSEP par Jonathan Cohen

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