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Comme Joséphine Baker, Margaux Fabre a deux amours : la natation et le sauvetage. Une double vie que la Catalane assume totalement. Même si les saisons sont souvent compliquées à gérer.

Anvers, juillet 2007. Alors que Laure Manaudou, auréolée de ses deux nouveaux titres de championne du monde décrochés quatre mois plus tôt de l’autre côté de la planète, à Melbourne (Australie, mars 2007), est au firmament de sa gloire, la natation française se découvre une nouvelle pépite. Un authentique joyau. En réalisant un incroyable triplé 200, 400 et 800 m nage libre (elle remporte également la médaille d’or avec le relais 4x200 m nage libre, ndlr), Margaux Fabre, 15 ans, éblouit, en effet, de toute sa classe les championnats d’Europe juniors. Si ce bilan, largement supérieur à celui réalisé cinq ans plus tôt par Laure Manaudou (seulement titrée sur 100 m dos lors du rendez-vous continental des jeunes, ndlr), est alors très commenté autour des bassins, l’enfant prodige n’en garde pas moins la tête froide. « Je n’ai pas réfléchi à tout ça à ce moment-là », se souvient Margaux. « Encore moins au fait que c’était mieux, ou pas, que ce qu’avait fait Laure. Je nageais pour le plaisir et c’était tant mieux si les résultats suivaient. »

La réussite de Margaux – même si elle soulève bien évidemment l’enthousiasme - n’étonne en tout cas pas vraiment du côté de la piscine Europa, à Canet-en-Roussillon. C’est là, en effet, que la jeune catalane a répété ses gammes jusqu’à les connaître sur le bout des doigts. « C’est là que j’ai appris à nager en regardant ce que mon père, maître-nageur, faisait faire à ses élèves », livre-t-elle sans une once de nostalgie. Egalement premier entraîneur de sa fille, Jean-Marc la laisse bientôt entre les mains expertes d’un certain Philippe Lucas, installé sur le bord de la Méditerranée avec Laure Manaudou depuis 2006. Si la championne olympique d’Athènes quittera bientôt les Pyrénées-Orientales pour l’Italie, son mentor restera, pour sa part, à Canet jusqu’en 2009, contribuant d’ailleurs au titre de vice-championne du monde juniors de Margaux Fabre sur 400 m nage libre conquis à Monterrey en 2008.

Margaux Fabre peut se prendre la tête à deux mains : les Françaises (ici Marie Wattel et Charlotte Bonnet) viennent de décrocher le titre continental du relais 4x100 m nage libre aux Euro de Glasgow (août 2018) (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Le départ de son entraîneur va entraîner celui de sa protégée vers les cimes pyrénéennes. Margaux rejoint le groupe d’entraînement de Font-Romeu, sous la houlette de Richard Martinez (aujourd’hui Directeur de la natation course au sein de l’équipe du DTN Julien Issoulié, ndlr). « C’était l’occasion de reprendre mes études tout en préparant les championnats du monde de Rome, où j’ai vécu ma première sélection en équipe de France A, même si je n’ai pas nagé le 4x200 m nage libre pour lequel je m’étais qualifiée », confie la Sudiste. Cette progression exponentielle va cependant connaître en janvier 2010 un terrible coup d’arrêt. Victime d’un accident de ski, Margaux s’en sort avec un traumatisme crânien, un pneumothorax, deux côtes et une clavicule cassées. « Je me rappelle que je me suis fait couper la route et que j’ai voulu m’arrêter pour éviter un snowboardeur, mais après je ne me souviens plus de rien ». Résultat : trois mois d’arrêt dont plusieurs semaines pendant lesquelles la jeune nageuse peut à peine se déplacer « du lit aux toilettes » ! Brisée physiquement, Margaux l’est aussi moralement. En proie au doute, elle s’interroge sur son avenir. « Et maintenant je fais quoi ?», se demande-t-elle d’ailleurs à ce moment-là. « En pleine période rebelle » et virée de Font-Romeu, celle qui se forge à cette époque-là l’image d’enfant terrible de la natation tricolore reprend finalement l’entraînement à Canet. Revenue quasiment à son niveau et septième du 200 m nage libre des championnats de France de Schiltigheim en 2011, elle est victime quelque semaines plus tard d’un accident de scooter qui lui vaut quatre fractures au pied droit. Appelez-ça comme vous voudrez, mais ça ressemble quand même à une sacrée poisse !

Cette nouvelle interruption forcée a cependant du positif. Contrainte à une nouvelle introspection, la Catalane s’aperçoit alors que la natation est un pan incontournable de son existence. Quoiqu’il advienne, elle nagera, même si ça doit passer par une pratique différente. Margaux prend donc le chemin de Montpellier pour retrouver son ancien entraîneur, Raphaël Raymond, désormais responsable du pôle France de sauvetage. L’idée s’avère rapidement payante ! Malgré un entraînement plus light (trois jours par semaine au lieu de cinq, ndlr), la néo-sauveteuse retrouve progressivement le goût de la compétition et du dépassement de soi. Double médaillée d’or aux Jeux mondiaux à Cali (2013), elle enchaîne avec sept podiums aux championnats du monde 2014 organisés à Montpellier et connaît la même réussite (ou presque) en natation. Après une troisième place sur 100 m nage libre à Dunkerque en 2012 et un titre de vice-championne de France l’année suivante sur 50 mètres, Margaux se classe huitième avec le relais 4x200 m nage libre tricolore aux championnats du monde de Kazan, en 2015. L’année suivante, son travail est récompensé par une première participation aux Jeux Olympiques, ceux organisés à Rio durant l’été 2016.

Margaux Fabre a la deuxième pace du 200 m nage libre de championnats de France de Rennes (16-21 avril) dans le sillage de la championne d’Europe Charlotte Bonnet ainsi que la sixième place de l’épreuve reine (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Une renaissance qu’elle attribue sans l’ombre d’une hésitation à cette double pratique : « Le sauvetage m’a redonné l’envie de m’investir en natation. Il m’a également permis de progresser sur le plan technique et plus particulièrement au niveau des coulées. Physiquement, les compétitions de sauvetage nous imposent de passer par des huitièmes de finale, des quarts et des demi-finales… En natation, tout le monde se plaint quand on fait deux courses dans la journée. Pour moi, c’est les vacances (sourire)… Mentalement, le sauvetage me fait du bien. Je me vide la tête, je pense à autre chose ». Si pour Margaux, sauvetage et natation course sont désormais indissociables, voire complémentaires, elle « ne peut pas pour autant se préparer pour deux sports à la fois ». C’est ainsi qu’en 2018, après le titre décroché à Glasgow avec ses coéquipières du relais 4x100 m nage libre – « un truc de ouf » assure-t-elle -, elle préfère faire l’impasse sur les « petits bacs » et se consacrer exclusivement au sauvetage de septembre à novembre. Pour pouvoir performer à l’occasion des mondiaux d’Adelaïde où elle remporte l’or sur le relais 4x50 m bouée tube (avec entre autre, Magali Rousseau, ancienne nageuse, ndlr), l’argent sur la surf race et le relais mannequin et le bronze au 100 mètres combiné et au relais sauvetage planche.

Revenue sous les couleurs de Canet 66 après avoir porté celles de Montauban Natation et d’Aqualove Montpellier, la multi-médaillée en sauvetage n’en continue pas moins à mener de front sa double carrière. En janvier dernier, Margaux a ainsi enchaîné un stage à Miami avec le pôle France de sauvetage de Montpellier, les championnats de France short course de sauvetage à Vichy, un nouveau stage avec l’équipe de France de natation course en Turquie, l’étape du Golden Tour à Nice, puis les championnats de France de Rennes (16-21 avril), où elle a pris l’argent du 200 m nage libre dans le sillage de la championne d’Europe Charlotte Bonnet et la sixième place de l’épreuve reine.

Pour l’heure, le calendrier démentiel ne semble aucunement altérer la détermination de celle qui n’hésite pas à couper quelques jours quand elle arrive à saturation. « Je veux voir jusqu’où je peux aller », assène-t-elle sans détourner le regard. « Et, en particulier, me qualifier pour les Jeux Olympiques de Tokyo en individuel ». Un objectif qui, s’il était atteint, mettrait un terme à cette drôle d’histoire ? A priori, non. « Quand j’arrêterai la nation, je continuerai le sauvetage », affirme, en effet, une Margaux Fabre qui, pour le moment, entretien avec un soin méticuleux ce double cursus aussi original qu’improbable.

Jean-Pierre Chafes

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