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Alors que cette saison 2019-2020 devait être la dernière de sa carrière, Fanny Deberghes a décidé de prolonger d’une année pour poursuivre son rêve olympique. SI la décision n’a pas été facile à prendre et que la brasseuse a dû revoir ses plans, elle ne se voyait pas tout quitter mi-mars dans la salle de musculation de Font-Romeu où elle était en stage avec son groupe d’entraînement d’Antibes.

Tu avais annoncé que cette saison olympique serait la dernière de ta carrière. Lorsque les JO ont été reportés, la décision de poursuivre un an de plus a-t-elle été facile à prendre ?

Ça n’a pas été facile du tout. La question s’est réellement posée. Tout a basculé dans notre préparation. Nous étions en stage à Font-Romeu en pleine préparation des championnats de France et d’un coup, on a dû tout quitter et rentrer chez nous. C’était l’apocalypse. On a compris que tout le travail effectué n’allait pas servir à grand chose. Jusqu’à l’annonce du report des Jeux ça a été très difficile pour moi. J’avais d’autres projets pour l’an prochain et je devais reprendre mes études en septembre. Tout était organisé. J’étais vraiment perdue.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

Quelques jours avant l’annonce du report des Jeux, on a appris que l’Euro de football était reporté à 2021. J’ai ressenti un gros moment de solitude, parce que j’ai compris que les JO allaient subir le même sort.  Et j’ai commencé à imaginer tous les scénarios possibles. On entendait que les Jeux allaient être annulés, puis reportés de quelques mois, puis au printemps et finalement en juillet-août 2021. Le pire était de ne pas savoir. Je dormais très mal la nuit et ça me préoccupait énormément. À partir du moment où nous avons été fixé, j’ai beaucoup mieux dormi.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance en faveur de la poursuite de ta carrière ?

Pendant plusieurs jours je me suis quand même demandée quelle décision je devais prendre. Mon double projet me tient à cœur, je suis entrée en école de kiné en 2016 en réalisant mes deux premières années normalement. J’avais fait ce choix là pour que l’arrêt de ma carrière de nageuse coïncide avec le début de mon aventure professionnelle. Je n’aime pas perdre de temps, c’est dans mon tempérament. J’ai validé ma troisième année et je devais terminer mes études l’année prochaine. J’en avais gros sur la patate d’avoir à décaler tout ça. Quand on voit la fin arriver on voit les choses différemment. J’étais préparée psychologiquement à tourner cette page. Ce report chamboule tout. Quand on se prépare à une fin dans trois mois et que finalement, elle est dans 15 mois, ce n’est plus pareil. Je me suis réellement posée la question, même si je pense qu’au fond de moi la décision était prise depuis longtemps. En discutant avec ma mère, j’ai vite réalisé que je serais incapable de regarder les Jeux olympiques à la télévision l’année prochaine. Ce sont de gros sacrifices et de gros efforts parce que j’ai dû gérer pas mal de choses pour conserver mon logement à Antibes, ma licence à Sarcelles. J’ai pris trois quatre semaines pour me poser et même s’il me tarde de rentrer dans ma vie professionnelle, je sais que je deviendrais kiné un jour et si j’avais raccroché le maillot, je pense que je m’en serais voulue. Comme je l’expliquais à mon préparateur mental, c’était une guerre intérieure sans merci, parce que d’un côté il y avait la jeune femme qui avait préparé cette nouvelle page à écrire et d’un autre il y avait l’athlète qui adore la natation et qui refuse d’abandonner. Ces deux personnes avaient toutes les deux raisons. Mais j’avais dit que je voulais aller à Tokyo et je ne peux pas baisser les bras comme ça. L’objectif ne bouge pas, même si le chemin pour y arriver a un peu changé.

Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire

D’autant que si tu avais pris la décision d’arrêter, ta carrière se serait terminée sur un confinement. Ça ne doit pas être facile à vivre.

C’est un crève-cœur. J’ai vraiment cru que c’était la fin de tout quand on était à Font-Romeu. Le président de la République a fait un discours le jeudi soir en expliquant que les écoles, collèges et lycées fermaient leurs portes. C’était un peu la panique au CREPS de Font-Romeu. Le vendredi matin à la fin de la séance de musculation, Franck (Esposito) nous a fait un super discours en nous expliquant que le CREPS fermait et qu’on devait rentrer chez nous. On était à fond dans notre objectif olympique et d’un coup on était perdu. À ce moment-là, je me suis dit que ma carrière allait prendre fin dans un gymnase en sous-sol à Font-Romeu. J’avais les larmes aux yeux. Fantine (Lesaffre) m’a pris la main parce qu’elle savait que c’était ma dernière année et que c’était d’autant plus dur à encaisser. J’étais assise par terre dans cette salle et j’ai vu ma carrière défiler. Je me souviendrai longtemps de cette scène.

As-tu réussi à décaler ta dernière année d’école de kiné ?

J’ai pris contact avec plusieurs personnes au sein de mon école de kiné pour leur expliquer ma situation. Mais ce n’était pas évident non plus parce que pendant le confinement ils ont dû s’organiser pour nous envoyer des cours et des élèves se sont également engagés dans des missions humanitaires pour venir en aide aux personnes en difficultés. Je ne voulais pas trop les embêter mais j’avais besoin de leur expliquer ma problématique. Ils ont été vraiment compréhensifs et à l’écoute. Le directeur de l’école m’a tout de suite dit qu’il n’envisageait même pas de me voir en septembre à l’école. Ça m’a évidemment rassurée, même si je m’étais fixée cet objectif de juin 2021 pour l’obtention de mon diplôme.

Comment as-tu vécu la reprise de l’entraînement ?

Aujourd’hui, je suis beaucoup plus positive et j’en ai encore parlé récemment avec le DTN Julien Issoulié. Cette décision, c’est même peut-être une chance pour moi parce que je suis arrivée à Antibes en début de saison alors que je m’entraînais à Montpellier depuis sept ans. Cela m’a demandé un temps d’adaptation et j’ai traversé des moments difficiles. Désormais, tout ça c’est derrière moi et j’ai encore du temps pour préparer les JO. Je sais que c’est un mal pour un bien et que la saison prochaine sera plus facile parce qu’on se connaît mieux avec Franck et mon corps s’est habitué à ses méthodes.

Étais-tu contente de retrouver le bord des bassins ?

On était tous contents de se retrouver après ce confinement. Pendant le confinement, Franck prenait de nos nouvelles régulièrement. On a repris de manière progressive. Pendant deux semaines, on a nagé que le matin et désormais on s’entraîne un jour sur deux deux fois et l’autre jour une fois. On fait ça pendant quinze jours et c’est une bonne transition avec le confinement. Franck a très bien géré cette reprise, même si je ne vais pas le cacher, ça n’a pas été facile. Quand j’ai plongé la première fois, j’avais l’impression d’être une goutte d’huile dans l’eau. Ce n’était plus mon élément. Depuis on fait maximum 4500 m par entraînement, c’est plutôt cool. Ça fait du bien de reprendre comme ça.

Recueilli par Jonathan Cohen

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