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Sur le papier, les résultats des équipes de France féminine et masculine manquent un peu d’épaisseur. Si les Françaises émergent au onzième rang, les garçons, eux, ont dû se « contenter » d’une quatorzième place. Un an après le retour du water-polo tricolore aux Jeux Olympiques on pourrait se sentir frustré, voire déçu de ne pas avoir vu les tricolores bousculer la hiérarchie. Reste que pour Julien Issoulié, responsable de la discipline à la FFN, le constat n’est pas si sombre. Bien au contraire. En Hongrie, les formations tricolores ont emmagasiné de l’expérience, du vécu, elles ont tutoyé d’un peu plus près l’élite mondiale et conforté des acquis qui ne demandent désormais plus qu’à s’inscrire dans le temps.

Quel bilan tirez-vous des championnats du monde de l’équipe de France masculine de water-polo ?

C’est bien de participer aux Mondiaux, mais c’est dommage de ne pas jouer avec toute l’énergie qui nous a permis de nous y qualifier. J’ai le sentiment que notre préparation aurait pu être meilleure si on avait disputé un tournoi. Il était initialement prévu que les Bleus participent aux Jeux Méditerranéens. Malheureusement, ça n’a pas pu se faire. Nous avons manqué d’un peu de compétition, néanmoins nous n’avons pas joué suffisamment en équipe. Or notre jeu fonctionne quand tout le monde pousse dans le même sens. Nous avons de bons joueurs, mais nous ne disposons pas de talents purs comme les Serbes, les Croates ou les Hongrois qui sont capable de faire la décision à n’importe quel moment. Nous, nous sommes efficaces en équipe. Individuellement, c’est plus difficile de faire la différence. Voilà pourquoi j’ai quelques regrets, notamment face aux Australiens. Franchement, ça ne passe pas loin. On commet des erreurs individuelles et le match nous échappe. La porte était entrouverte, mais nous n’avons pas réussi à nous y engouffrer. Pour résumer, je trouve qu’on a un peu manqué de force collective alors que sur certaines rencontres, notamment face à la Hongrie (13-7), les Français ont montré qu’en étant solidaires, ils pouvaient rivaliser avec les meilleurs.

​Julien Issoulié en interview lors du tournoi de qualification olympique de Trieste en avril 2016 (FFN/Michel Dumergue).

Doit-on en déduire que cette équipe de France qui a participé aux Jeux Olympiques de Rio, l’année dernière, s’est vue un peu trop « belle » en arrivant aux Mondiaux de Budapest ?

Je ne sais pas (il réfléchit)… Non, honnêtement, je ne le pense pas. Mais peut-être croyaient-ils bénéficier d’un certain statut vis-à-vis des arbitres ou vis-à-vis des autres formations. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Une fois la compétition terminée, on efface tout et on recommence. Sauf que pour les Bleus, se qualifier aux Jeux a été tellement long et difficile qu’à un moment, inconsciemment, ils n’ont peut-être pas imaginé qu’ils devraient refaire tout le chemin… Nous ne sommes pas les Hongrois, qui ont été trois fois champions olympiques, ou les Serbes, qui sont toujours au rendez-vous des grandes échéances internationales. Nous, il faut que l’on se fasse notre place. Et cette place, nous ne pourrons la conserver qu’en jouant en équipe. Notre force, c’est le collectif !

Sous-entendez-vous qu’il est toujours plus difficile de confirmer ?

De manière générale, et c’est quelque chose de très français, de culturel presque, nous avons du mal à rééditer nos performances. Il en va de même en natation où nos nageurs peinent à confirmer après un titre ou une médaille internationale. Pour revenir au water-polo, je dirais que nos joueurs n’étaient pas prêts à tout donner, et sans limites comme ils l’ont fait pour la qualification aux Jeux Olympiques. Inconsciemment, ils se sont relâchés. Mais c’est aussi pour ça que nous avons recruté un coach étranger en début de saison (le Croate Hrvoje Hrestak, ndlr) afin de bousculer nos habitudes, de franchir un nouveau palier et de continuer à progresser sur le chemin de l’exigence. Malheureusement, l’année est passée vite et nous avons manqué de temps pour consolider notre collectif.

Le Croate Hrvoje Hrestak a pris les rênes de l’équipe de France depuis septembre 2016 (Deepbluemedia).

L’absence de joueurs comme Romain Blary et Enzo Khasz a-t-elle également pesé au moment de disputer les Mondiaux de Budapest ?

Oui, parce que ce sont des joueurs de qualité. Ils nous ont manqué, c’est certain, notamment pour stabiliser notre axe et laisser plus de latitude à nos joueurs de la ligne extérieure. Face aux grosses écuries, ça ne pardonne pas !

Et quel regard portez-vous sur les prestations de Guillaume Dino, Logan Piot et Hugo Fontani qui représentent l’avenir de l’équipe nationale ?

Ils ont répondu présent, mais j’ajouterais un bémol. Ils ne doivent pas attendre que les autres joueurs tricolores performent. Ils sont l’avenir, c’est à eux de saisir leur chance.

Qu’entendez-vous par-là ?

Ils ne doivent pas attendre que Mehdi (Marzouki) marque des buts, qu’Ugo (Crousillat) délivre des passes et que Rémi (Garsau) arrête des buts. Ils doivent comme tous les autres jeunes qui ont participé à la préparation bousculer la hiérarchie, ce qui n’a pas encore été véritablement le cas jusqu’alors.

Pourquoi ?

Jusqu’à présent, la force de l’équipe de France repose sur les liens étroits qui unissent les joueurs de ce collectif. Ils fonctionnent bien entre eux, ils savent se trouver, anticiper et se démarquer. Cette année, nous avons perdu des éléments qui ont déséquilibré l’équipe. Nos jeunes n’ont pas réussi à se fondre complètement dans l’osmose générale. C’est dommage parce que cela aurait pu créer une saine concurrence et booster l’ensemble du groupe un peu vieillissant.

L'équipe de France masculine s'est inclinée 18-9 face à l'Italie pendant les matchs de poules des championnats du monde de Budapest (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Dans un tout autre registre, Thibaut Simon a vécu à Budapest sa dernière campagne avec l’équipe de France. Va-t-il être compliqué de le remplacer ?

La chance qu’a eu Thibaut tout au long de sa carrière, c’est sa polyvalence. Il peut jouer partout. Il dispose, par ailleurs, d’une intelligence naturelle de jeu, d’une sérénité et d’un calme qui ont pu apaiser le groupe à des moments importants. L’enjeu, à présent, c’est que les jeunes remplacent Thibaut Simon et qu’ils dépassent avec ambition le niveau qui a été le sien, tant sur le plan physique, technique que tactique. C’est indispensable si nous voulons que l’équipe continue de progresser.

Pendant les Mondiaux, on a parfois eu le sentiment que les Français étaient moins « armés » que leurs adversaires sur le plan physique.

Les Australiens, les Serbes, les Hongrois et les Américains disposent de gabarits impressionnants. Malgré tout, nos joueurs parviennent à chatouiller ces « monstres ». On rivalise, peut-être pas sur l’ensemble d’un match, mais on parvient néanmoins à tenir tête à ces équipes pendant un ou deux quarts temps. C’est bien la preuve que la dimension collective transcende tout le reste. A condition, bien évidemment, de jouer ensemble !

​(Deepbluemedia).

A présent, qu’est-ce qui attend l’équipe de France masculine de water-polo ?

Les Bleus vont préparer championnats d’Europe de water-polo, mais à mon sens le vrai objectif, c’est de se remettre au travail le plus rapidement possible en vue de 2020. Cette année, j’ai l’impression que l’accumulation de matchs, notamment de Ligue mondiale, nous a empêchés d’approfondir certains aspects de notre jeu. A notre niveau, cette compétition permet de finaliser un parcours. Or, nous venons d’entamer un nouveau cycle. Voilà pourquoi, je pense qu’il faut s’interroger sur l’élaboration du programme des équipes de France pour savoir si nous ne pourrions pas mieux utiliser le budget alloué pour la Ligue mondiale.

La reconstruction de l’équipe de France féminine semble pourtant engagée depuis un moment déjà. N’est-il pas temps, justement, de finaliser leur progression comme vous le suggérez ?

A l’heure actuelle, nous disposons d’un groupe de 14-15 filles alors que nous avons besoin de 25 joueuses. Il va donc falloir faire la tournée des clubs italiens et espagnols pour affronter des formations plus fortes pour prendre de l’expérience, mais aussi des équipes plus faibles pour emmagasiner de la confiance. Notre équipe dispose de joueuses talentueuses, mais elles manquent de repères et de confiance. Certaines n’osent pas prendre de risques. En Ligue mondiale, le problème, c’est qu’à force d’affronter l’élite de la discipline, on finit par s’engager dans une spirale de doutes et d’incertitudes. Voilà pourquoi nous pourrions investir différemment l’argent de la Ligue mondiale pour financer des stages et permettre à nos sélections de partager une aventure commune dans de nouveaux lieux. L’idée est vraiment de recréer une dynamique de groupe ainsi qu’une saine concurrence pour que nos équipes puissent toujours être plus performantes.

(Deepbluemedia)

Parlons de l’équipe de France féminine à présent. Florian Bruzzo nous a confié  à l’issue du championnat du monde que l’objectif était « le tournoi de qualification olympique ». Doit-on comprendre que les Françaises visent ouvertement une qualification pour les Jeux de Tokyo en 2020 ?

C’est bien la feuille de route que nous nous sommes fixés. Après les Jeux de Rio, Florian hésitait à repartir avec les garçons. Je lui ai alors proposé de prendre le groupe féminin en charge avec l’ambition de les qualifier pour les JO de Tokyo. Il a pris le temps de réfléchir à ma proposition et a fini par accepter. Beaucoup de gens issus de l’univers du water-polo masculin n’ont pas compris, mais il faut rappeler, et c’est important de le dire, que Florian est un homme de challenge. Il aime construire dans la durée. Reste que le pari est loin d’être relevé. Les filles ont fait un premier pas en prenant la onzième place des championnats du monde, mais le chemin est encore long, peut-être même plus long que pour les garçons.

C’est-à-dire ?

En 2012, quand Florian a repris le groupe masculin, il n’y avait qu’à redonner du sens à ce qu’ils faisaient en équipe nationale pour embrayer sur le projet olympique. Nous avons optimisé le travail accompli par Petar Kovacevic. Et puis, n’oublions pas qu’un certain nombre de joueurs évoluaient déjà à l’étranger. A partir du moment où ils ont accepté de s’investir dans notre projet, tout a été plus simple. Avec les filles, c’est différent. Elles jouent toutes dans le championnat de France qui, il faut le dire, ne fait pas partie des références continentales. Or, nous vivons autour de ce championnat. Pour beaucoup, c’est notre valeur étalon. Je ne suis pas d’accord. S’en tenir à cette vision des choses est insuffisant, surtout si nous avons une ambition olympique. Nous devons travailler davantage, nous entraîner mieux pour faire progresser le water-polo féminin. L’équipe de France est notre seule vraie locomotive. Elle peut entraîner tout le water-polo dans son sillage, il faut donc la mettre au centre du projet.

D’où la volonté d’ouvrir un centre national de water-polo ?

Exactement ! Il sera établi à Nice parce que le club nous a offert l’opportunité de bénéficier de ses créneaux.

Florian Bruzzo, sélectionneur de l'équipe de France féminine de water-polo, livre ses consignes (Deepbluemedia).

Les joueuses tricolores ont-elles conscience du travail qui les attend pour se rapprocher de l’élite mondiale ?

Je crois que les championnats du monde de Budapest leur ont permis de mesurer un peu mieux ce qu’était réellement le haut niveau. L’année dernière, quand elles ont vu arriver Florian (il a pris ses fonction en septembre 2016, ndlr), elles ont dû se dire qu’il était fou, complètement dingue… Je me rappelle qu’il parlait de récupération, de diététique, de travail quotidien, de technique, de tactique, d’analyse vidéo. A l’époque, elles n’avaient pas compris la portée de son message. Aujourd’hui, après cette onzième place mondiale, elles savent un peu plus de quoi il en retourne exactement, mais Florian est loin d’avoir atteint son degré d’exigence. Le haut niveau ne s’improvise pas. Il faut travailler et travailler encore pour espérer accrocher les meilleures formations.

Malgré tout, quand on voit les scores qu’elles ont encaissés, n’est-ce pas un apprentissage douloureux, voire traumatisant ?

Les filles ont subi de lourdes défaites, c’est un fait, mais quand on voit leurs deux premiers quarts-temps face à la Chine (13-5 au final, mais 6-4 à la mi-temps, ndlr), on observe un progrès. On a soudain vu qu’elles pouvaient être agressives, défendre en équipe et tenter des choses qu’elles n’osaient pas réaliser auparavant. Elles ont fini par subir la loi des Chinoises, notamment sur le plan physique, mais ce n’est pas grave car tout le monde a pu voir que le message était en train de passer.

Louise Guillet, capitaine de l'équipe de France féminine de water-polo, est l'unique joueuse du groupe de Florian Bruzzo à disposer d'une expérience dans un championnat européen (Deepbluemedia).

Qu’en est-il des garçons ? Sont-ils abattus par leur 14e place mondiale ?

Ils ont manqué d’impact et leur jeu collectif n’était pas toujours efficace, mais ils ont fait corps contre le Canada (10-6, ndlr). Dans ce match, j’ai retrouvé des choses que l’on voyait moins. La fatigue les a ensuite rattrapés. Néanmoins, les Bleus ont montré qu’ils n’étaient pas à Budapest par hasard.

Un an après les Jeux Olympiques de Rio, comment le water-polo est-il perçu sur la scène internationale ? Les championnats du monde de Budapest ont-ils conforté auprès des autres coaches les progrès entraperçus ces dernières années ?

Oui, évidemment, parce que les entraîneurs des autres nations et leurs représentants comprennent le chantier que nous avons lancé. Ils savent que ça va être long, qu’il y aura des déconvenues, des erreurs et des déceptions, mais ils sont tous unanimes pour dire que nos encadrants sont sérieux, que nos joueurs et joueuses ont de la qualité. Les fondations sont bonnes, mais elles sont encore un peu légères. A nous, à présent, de bâtir dans le dur, de consolider notre water-polo et de soutenir sa construction vers l’élite mondiale.

Recueilli à Budapest par A. C.

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