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Le sujet a resurgi lorsque l’équipe de France de football est rentrée de Russie, l’été dernier, auréolée d’un titre de championne du monde. Dans les jardins de l'Elysée, les plus hauts représentants de l'Etat ont adressé de belles phrases à destination de ceux qui devaient être un exemple pour les jeunes, voire pour la nation toute entière. Est-ce le cas pour tous les nageurs de haut niveau ? En ont-ils seulement conscience ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté de répondre.

Parmi les nombreux champions qui ont marqué l'histoire de la natation française, Alain Bernard figure indiscutablement en bonne place. L’Antibois se souvient de ses années de jeunesse : « Je me suis toujours efforcé de faire les choses de mon mieux. A l’époque, j’aimais m’identifier à Alexander Popov et Franck Esposito. Au fil de ma carrière, j'ai assumé un rôle de capitaine au sein de mon club. Il s’agissait de motiver mes partenaires et de leur montrer l'exemple, notamment en ce qui concerne l'approche de l'entraînement. Quand on est champion, on a envie de faire partager ses petits secrets ». Pour autant, le double champion olympique estime que les témoignages d'admiration que reçoit un sportif, même s'ils sont « agréables », ne sont pas forcément indispensables à la performance. Pour le Sudiste, les marques d’attention n’ont jamais constitué un moteur. Reste que l’ancien sprinteur vedette de l’équipe de France a toujours eu conscience de l’aura que lui procuraient ses titres. « Quand ça marche, c’est bien, mais lorsque ça marche moins bien, on est vite oublié. C’est pour cette raison que j'ai très tôt réfléchie à mon après-carrière. Des dizaines d'idées me sont venues. J’avais à cœur de me rendre utile. C’est ce que je fais aujourd'hui. Je partage mon expérience en m’impliquant au sein du milieu associatif ». Consultant sportif pour une chaîne de télévision, Alain Bernard a également travaillé pour une société d'architectes. « Au bord ou pas loin des bassins, j'essaie toujours d'apporter mon expérience auprès des éducateurs. En tant que champion, on se doit de montrer l'exemple », rappelle celui qui se définit comme un ambassadeur aquatique. Il apprécie également de s'impliquer de manière bénévole dans le cadre de parrainages d'associations œuvrant auprès des enfants malades. Et quand on lui parle d'un éventuel investissement politique, il ajoute : « Je n'ai pas trop envie qu'on me colle une étiquette, mais je ne me ferme aucune porte ».

Charlotte Bonnet prend la pose avec de jeunes supporters de l’équipe de France lors de l’Open de France 2018 de natation à Chartres (FFN/Philippe Pongenty).

Jordan Pothain, quant à lui, prend chaque jour conscience de l'image que lui renvoie son statut de nageur de l’équipe de France. « J'ai eu cette chance de pouvoir partager mon parcours dès mon retour des Jeux Olympiques en 2016. Dans mon club, dans ma région, mais également dans quelques clubs de France. C'est à chaque fois enrichissant », livre-t-il. « Au quotidien, on croise les jeunes du club qui sont toujours contents de nous voir. Je me contente de renvoyer une bonne image, je prends le temps de leur faire un « check » et un sourire ». Concernant les marques d'admiration qui lui sont adressées, Jordan se montre, en revanche, moins réceptif : « C'est sympa de pouvoir faire rêver le public, mais ça n'est pas réellement une source de motivation ». Puis, évoquant sa vie future, le néo-Niçois reste lucide : « Je suis diplômé à Bac+4 avec un diplôme universitaire en préparation mentale. Je suis actuellement en deuxième année d'école de kinésithérapie. Le but sera de construire ma vie autour de ces deux domaines. Je ne sais pas si on peut parler d'exemplarité, mais c'est plus une exigence que le sport transmet ».

(Adobe Stock).

Etudiant à l'UFR STAPS Lyon 1, Sergueï Comte fait, de son côté, partie des valeurs montantes de la natation tricolore. De retour des Jeux Olympiques de la Jeunesse qui se sont déroulés en octobre dernier à Buenos-Aires, le licencié de l'EMS Bron Natation, dans la banlieue lyonnaise, a bien conscience d'être un modèle dans sa structure. « Les jeunes me suivent sur les réseaux sociaux. Beaucoup aimeraient avoir le même parcours que moi. Les garçons s'intéressent plus particulièrement à mes performances. Certains me demandent quels temps je faisais à leur âge ». Sergueï sait, cependant, que rien n’est acquis. Du haut de ses 18 ans, il compte « travailler dur » en vue du rendez-vous olympique de Tokyo en 2020 avant de se focaliser sur l'échéance parisienne de 2024. Ses modèles à lui ont pour nom : Florent Manaudou, « pour ses coulées » dit-il, Jérémy Stravius ou Mehdy Metella. Pour autant, Sergueï Comte sait qu'il lui faudra encore beaucoup travailler pour les rejoindre. « La natation ce n'est pas le foot, mettre son sport en avant c'est vraiment dur. Certains abandonnent dès le début, d'autres ont beaucoup de mal à se remettre d’une contre-performance. Beaucoup n'ont pas la patience nécessaire », constate celui dont le comportement, tant aux entraînements que lors des compétitions, vise justement à transmettre un message de persévérance aux jeunes pousses.

Mais Sergueï Comte a encore beaucoup à prouver. Logiquement, il ne s'est donc pas encore vraiment posé la question de sa reconversion. Mais pourquoi ne pas mettre un jour la notoriété qu'il ambitionne d'acquérir « au service d'une cause humanitaire ou solidaire ? », s'interroge-t-il. La notoriété, justement, Charlotte Bonnet est en train de s’y habituer. « J'ai vraiment l'impression que mon statut a évolué depuis les championnats d'Europe de Glasgow (la nageuse azuréenne a remporté quatre médailles, dont trois en or aux Euro écossais, ndlr). On a davantage entendu parler de moi et du coup, j'ai gagné quelques milliers d'abonnés sur les réseaux sociaux. Je faisais déjà attention à ce que je postais et c'est encore plus le cas depuis. En tant que sportifs de haut niveau, nous avons un rôle d'exemple. Voilà pourquoi je n'aborde jamais des sujets tels que la religion ou la politique. Je pense que ça peut vite prendre des proportions inattendues et avoir un effet négatif sur notre communauté », expose-t-elle avec lucidité.

Alain Bernard signant des autographes à des fans lors de l’édition 2009 des championnats de France de Montpellier (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Parmi les grands noms du sport français, celui de Gwendal Peizerat tient sans doute une place à part, tant pour son palmarès en patinage artistique que pour l’éclectisme de sa reconversion. Pourtant, tout n’a pas été simple pour en arriver là. « Pendant longtemps, j’ai eu l'impression d'être à part, de ne pas être forcément l'exemple à suivre », confie-t-il. « J'ai souvent dû rater des cours pour pouvoir pratiquer mon sport, puis j'ai bénéficié d'horaires adaptés ». A l'autre bout de sa carrière sur glace, lors des olympiades de 1998 et 2002, les choses avaient fort heureusement évolué. Soucieuse de valoriser les sportifs, l'EM Lyon, où étudiait Gwendal Peizerat, avait installé un écran au sein même de l'école. « On se rend alors compte que l'on est un exemple. Mais la ligne est fine, on ne nous pardonne pas grand-chose. Il faut être irréprochable dans tous les domaines. En France, on brûle facilement nos icônes, à la moindre contre-performance on peut vite devenir l'exemple à ne pas suivre », souligne-t-il. « L 'exemplarité que l'on attend d'un sportif, c'est l'exemplarité qu'il doit s'imposer à lui-même au quotidien. C'est le respect de l'entraînement, de l'adversaire, des horaires, de son corps. C'est de l'abnégation, de l'humilité, un investissement personnel, de la patience et du travail », conclut celui qui est toujours resté fidèle à Muriel Boucher-Zazoui, son entraîneur à la patinoire Charlemagne, et qui continue de donner des spectacles avec sa partenaire, Marina Anissina.

(Adobe Stock).

Dans le cadre de sa reconversion, Gwendal Peizerat a créé Soléus, une entreprise spécialisée dans le contrôle des équipements sportifs. Il s'est également tourné vers la politique en occupant la fonction de vice-président aux sports de la région Rhône-Alpes. « Ce fut une expérience très intéressante à vivre. Faire avancer le sport dans la région nécessite de savoir gérer beaucoup de paramètres », constate-t-il, conscient néanmoins que par l'engagement politique « on perd 50% de la sympathie du public ». La musique tient également une place importante dans sa vie. Depuis peu, l'ancien patineur écrit et compose ses chansons. A ce titre, il a sorti le 20 juin 2018 son premier album « entièrement autoproduit à la maison » et se lance dans une tournée (*). « L'exemple que j'aimerais donner, c'est de ne pas se cantonner à ce que l'on sait faire. En France, on met les gens dans des cases. Or, les compétences que l'on développe dans un domaine sont transférables dans d'autres projets ». Pour l'heure, il ne nie pas que sa carrière de chanteur reste confidentielle. « Mais ce n'est pas grave. Mon objectif est de faire de la musique, de me retrouver sur la scène, de gravir les échelons progressivement. »

Laurent Thuilier

(*) www.gwendalpeizerat.com

 « La renommée n'est pas toujours synonyme d'exemplarité »

Virginie Nicaise, enseignante-chercheure au Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport à l’Université Lyon1 -UFRSTAPS, nous livre son analyse de l’exemplarité des sportifs.

« Le sportif, par son engagement et ses sacrifices, joue un rôle de modèle de détermination, de respect, de solidarité, de civisme auprès du grand public. Ce rôle de modèle, de leader de son équipe, de son club est également primordial au sein d’un collectif pour accompagner les plus jeunes ». Elle poursuit : « Dans le champ de la haute performance, ces champions régalent les médias qui leur attribuent souvent un statut de « demi-dieux ». L’effet est d’autant plus impactant lorsque le sport est l’ascenseur social, lieu de réussite scolaire de personnes défavorisées. Il est vrai que la compétition est une épreuve de vérité qui suppose l’honnêteté envers soi-même et un certain niveau d’exigence personnelle. Celui qui triche avec les règles, triche avec lui-même ». Virginie Nicaise fait sienne l'analyse de la basketteuse Céline Dumerc pour qui « la meilleure façon de faire partager une expérience, c’est l’exemple que l’on donne. Le comportement, sur le terrain, comme en dehors, l’implication dans le jeu, dans le projet, dans la vie du groupe, l’attitude par rapport aux règles collectives. Voilà comment, selon moi, on doit montrer la voie ».

Pour la basketteuse de l’équipe de France Céline Dumerc « les sportifs de haut niveau doivent montrer la voie sur le terrain, comme en dehors » (D. R.).

L'enseignante d’approfondir : « Pour autant, la renommée n’est pas toujours synonyme d’exemplarité. En effet, le sport ce peut être aussi la dictature de l’argent, la violence des stades, le mépris de l’arbitre et la réussite… mais à quel prix ? Peut-on toujours dire que nos sportifs sont des modèles ? On clame que le sport de compétition est une école de la vie qui contribue au développement personnel de l’individu. Si l’échec fait partie du jeu, il n’est pas toujours autorisé ni même envisagé. Le sport véhicule l’idée que les règles de conduite et éducatives peuvent être reléguées au second plan, du moment que l'on gagne ». Elle ajoute : « La notoriété de nos champions leur permet de construire un réseau porteur pour leur reconversion après leur carrière. D’ailleurs les entreprises aiment se rapprocher de grands sportifs et s’appuyer sur eux comme modèles de valeurs. Les exemples de reconversion d'athlètes de haut niveau sont nombreux. Edwige Lawson en tant que manager de l’équipe de basket de Lattes-Montpellier. Edgar Grospiron fait, quant à lui, partager les valeurs fortes qui l’ont animé lorsqu’il était sportif. Il réalise des conférences sur la motivation au sein d’entreprises. Enfin, les reconversions politiques ne manquent pas : Bernard Laporte, David Douillet, Guy Drut, Laura Flessel, Roxana Maracineanu... Mais il n’est pas certain que les valeurs d'humilité, de solidarité et d'effort véhiculées par nos sportifs se retrouvent dans la représentation que l'on a des politiques qui nous gouvernent ».

Recueilli par L. T.

 

 

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