Aller au contenu principal

Il y a les chiffres, édifiants, presque démesurés : 108 km, onze jours de traversée, près de 54 heures de nage dans une eau à 10°C à tracter un radeau à 3 800 m d’altitude, et puis il y a le reste, cette somme d’émotions et de sentiments qui s’entrechoquent dans un maelström que seuls les trois aventuriers du défi Titicaca sont en mesure d’exprimer, à l’instar de Matthieu Witvoet, éco aventurier auteur d’un tour du monde à vélo et d’une traversée du détroit de Gibraltar à la nage, qui vient d’ajouter ce périple sud-américain à sa collection d’aventures.

Dans quel état d’esprit te sens-tu après ce défi hors du commun ?

Je suis d’abord fier parce que c’est une traversée que nous avons accomplie en autonomie complète après une longue année de préparation. Maintenant que c’est fait, j’ai l’impression qu’on ne pourra jamais me l’enlever (sourire)

Votre périple a été énormément suivi en France. As-tu conscience de la vague de soutien que vous avez déclenché ?

C’est dingue parce que les gens n’arrêtent pas de m’en parler, mais proches évidemment, mais aussi des personnes que je ne connais pas. Une hôtesse de l’air est venue nous voir dans l’avion qui nous a ramené en France pour nous dire qu’elle avait eu les larmes aux yeux en regardant nos vidéos. A l’aéroport de Roissy, nous avons croisé un monsieur qui avait, lui aussi, les larmes aux yeux et qui n’en revenait pas de notre traversée. Il n’arrêtait pas de nous répéter que c’était « incroyable ! ». J’ai l’impression que tout le monde est au courant et c’est bizarre parce que je m’aperçois que les gens ont saisi la teneur de notre engagement à la fois sportif et environnemental.

Dans quel état physique es-tu rentré du Pérou ?

Pour être franc, j’ai déjà envie de reprendre le sport (sourire)… Je m’attendais à être « dégouté », mais non. Aujourd’hui (mercredi 24 novembre), je me suis empêché d’aller courir pour m’accorder une semaine de repos. Mais le moral est là, je suis en forme et plus motivé que jamais.

(@Andy Parant)

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour toi ?

La météo ! Dans chaque aventure, il y a des imprévus. Pour cette traversée, nous avons essayé de tout anticiper, mais la météo nous a surpris pendant quasiment les dix jours de notre périple. Nous avons eu le vent de face pendant huit jours avec des vagues et des orages d’une force extraordinaire.

As-tu eu peur pour ta vie ?

J’ai davantage eu peur pour la vie de Théo (Curin) et Malia (Metella), mais pas forcément pour la mienne.

Pourquoi ?

Je ne saurais pas l’expliquer, mais c’est d’abord à eux que je songeais quand les éléments se déchaînaient. Je me suis dit que si ça tournait mal et qu’il arrivait malheur à un de mes camarades, je me sentirais très très très mal... Pour ne rien vous cacher, il y a eu deux ou trois moments particulièrement « chauds » pendant lesquels je me suis dit qu’on était pas loin de la mort…

A ce point-là ?

Quand un orage cogne et gronde au-dessus de vous pendant plusieurs heures et que vous tanguez sur votre radeau à l’abri d’une petite tente, il y a de quoi se sentir tout petit. Il faut vraiment le vivre pour se rendre compte de la force des éléments.

(@Andy Parant)

As-tu songé à arrêter pendant la traversée comme ce fut notamment le cas pour Théo (Curin) au huitième jour ?

Non, globalement, je me suis accroché jusqu’au bout ! Cela n’a pas été facile, comme je vous le disais, il y a même eu des moments très stressants, mais contrairement à Théo qui vit tout à fond, j’ai pris sur moi. Les jours où nous avions moins de natation en raison du vent, par exemple, je me suis accordé des moments pour lire, dormir et m’économiser. Une aventure, c’est aussi ça : des périodes d’accalmie pendant lesquelles il ne se passe rien en apparence, mais qu’il faut mettre à profit pour se recentrer sur soi.

Ton expérience d’éco aventurier t’a donc été bénéfique sur cette traversée du lac Titicaca.

Dans mes aventures précédentes, j’ai vraiment appris à me laisser aller, presque à lâcher prise parce qu’on ne peut pas tout contrôler. Sur un lac de la taille du Titicaca, sous un orage de montagne à 3 800 m d’altitude, on comprend vite qu’on est peu de chose. Dans ces cas-là, ça ne sert à rien de s’agiter, il faut au contraire prendre les événements comme ils viennent et s’adapter en permanence, rester lucide autant que possible pour prendre les bonnes décisions. Donc oui, je pense que mes aventures passées m’ont été grandement utiles sur cette traversée.

A ce sujet, est-il possible de comparer ce défi avec tes précédentes aventures (tour du monde à vélo, traversée du détroit de Gibraltar à la nage) ?

Ces trois périples sont très différents en termes d’effort, d’intensité et de temporalité, mais je pense qu’on peut malgré tout dire que la traversée du lac Titicaca a été la plus difficile. Et c’est bien parce que ça montre que je monte en puissance et que je gagne en maturité dans la gestion de l’effort et des difficultés. Mais bon, comment comparer dix jours de nage en autonomie sur un lac en Amérique du Sud et un tour du monde 365 jours à vélo ? En soi, c’est impossible parce que ça n’a absolument rien à voir !

(@Andy Parant)

Qu’en est-il de la dimension environnementale de la traversée qui te tenait particulièrement à cœur au moment de ta lancer dans cette aventure ?

Je l’ai vécu tout au long du périple, même si, pour moi, c’est une philosophie de vie. J’essaie de mener mon existence au rythme de la nature et c’était le cas sur le radeau pendant la traversée. Il fallait surveiller notre consommation d’énergie, préparer nos repas, maîtriser nos ressources. Pendant les dix jours de notre aventure, nous avons aussi fait passer un message aux millions de Péruviens et de Boliviens pour qui le lac Titicaca est sacré, mais qu’il importe de préserver pour les générations futures.

Quelle sera la suite pour toi ?

J’ai plein de projets en tête, d’autant que cela fait un an que je les repousse pour me concentrer sur la préparation du défi Titicaca. Pour l’heure, je veux profiter de ce que nous avons accompli. Il y a un temps pour tout : se préparer, vivre une aventure et la digérer ! Lorsque je serai rassasié, je me projetterai sur une nouvelle aventure. Avant cela, un documentaire devrait voir le jour, puis il y aura certainement la publication d’un bel ouvrage à base de photos. Je vois ça comme un message d’espoir dans la période compliquée que nous traversons depuis maintenant deux ans.

Recueilli par Adrien Cadot

Partager la page