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Très loin tout au Nord de la Russie, sous l’égide de l’International Ice Swimming Association dirigé par Ram Barkai, 400 nageurs issus de 33 pays ont participé aux troisièmes championnat de Monde de nage en eau glacée organisés à Mourmansk. De l’Argentine à l’Islande, de la Chine aux Etats-Unis, les nageurs des glaces se sont retrouvés autour d’un bassin de 25 mètres creusé dans la glace à coups de méga-tronçonneuses sur le lac Semenovskoye. L’occasion de donner la parole au docteur Alexandre Fuzeau, dit « Ice Doc », précurseur de la discipline en France, et deuxième tricolore engagé avec la Caennais Marion Joffle. Récit « glacé » d’un périple au bout du monde…

Nous sommes le 16 mars 2019, à 300 kilomètres au nord du cercle polaire, pas loin des rivages de l’Océan Arctique. A Mourmansk, en Russie. Le vent glacial semble si doux lorsque j’émerge des 21’38 de mon 1 000 m nage libre. L’eau est à 0,2°C. La glace liquide en coulant le long de mon corps m’a brulé comme le soleil. Mains gelées, mais lucide, je marche épaulé jusqu’au Centre sportif « Laplandia » pour aller me réchauffer, profitant des quelques minutes précédant « l’afterdrop », l’hypothermie secondaire à la sortie du bain glacé. La sortie de l’eau se traduit, en effet, par un retour du sang chaud interne dans les chairs refroidies périphériques qui va ramener le froid superficiel vers les parties internes du corps provoquant une chute de la température corporelle.

(D. R.)

(FFN/Alexandre Fuzeau)

A peine arrivé, une équipe russe s’active immédiatement dans un ballet incessant de serviettes chaudes essorées appliquées sur le corps. Tout près, ça grogne, ça gronde, ça grommelle. On enlève le froid du corps selon le principe inverse d’une serviette froide apaisant un corps fiévreux. Les Russes s’y connaissent. Ils maîtrisent le protocole. Je leur fais entièrement confiance. Rapidement, les membres se mettent à trembler violemment, entamant la deuxième partie de la course : le réchauffement ! Après une demi-heure de travail musculaire intense un sentiment de bien-être s’installe. Etrange sensation de bonheur. Tout s’apaise. Je me sens bien. Il faut dire que l’agression du froid rend le corps plus fort, tant physiquement que mentalement. Les sécrétions d’adrénaline, de cortisol et d’endorphine euphorisent, stimulent et renforcent. A 5°C, on a froid, mais on ne gèle pas. A 0°C, on gèle.  Je vais mettre un peu de temps avant de recouvrer la sensibilité distale des doigts. La surface du corps reste douloureuse pendant quelques jours, martelée par le froid. La glace a dicté sa loi. Bienvenue dans le monde de la natation « ultra-extrême ».

(FFN/Alexandre Fuzeau)

(FFN/Alexandre Fuzeau)

Le 1 000 mètres, c’est l’épreuve reine des championnats du Monde de nage en eau glacée. Au total, nous sommes 94 à relever cet ultime défi. Le Bulgare Petar Stoychev, ancien Olympien, est sacré champion du monde en 12’10, nouveau record du monde. Il bat les jeunes hollandais Fergil Hestermann (12’42) et russe Vladislav Sapojnikov (12’48). L’Allemand Christof Wandratsch, le premier champion du monde de l’histoire en 2015 finit juste derrière en 12’54. Les temps changent. Ce qui était un sport de vétérans au mental d’acier devient le terrain de prédilection d’une jeunesse conquérante. Chez les femmes, les quatre premières ont tout juste 20 ans. L’Allemande Alisa Fatum (13’02) conquiert le graal devant l’Irlandaise Ciara Doran (13’06) et la Polonaise Hanna Bakuniak (13’30). La Française Marion Joffle finit, quant à elle, à une impressionnante quatrième place en 13’43.

(FFN/Alexandre Fuzeau)

Le lendemain, onze relais mixte nationaux s’élancent dans un bouillonnement glacé. Le 4x250 mètres. La préparation est méticuleuse. L’enjeu est important : déterminer le meilleur relai mondial. Pendant des semaines les équipes se sont préparées comme des métronomes, perfectionnant les virages et les départs (plongeons et culbutes sont proscrits en eau glacée en raison du risque d’étourdissement, ndlr). L’interdiction des longues coulées aux virages voit émerger une nouvelle technique de battements de pieds ultra rapides pratiquement hors de l’eau sur quelques mètres avec le haut du torse plongé en avant. L’équipe d’Allemagne codifie la coordination bras/jambes au virage, « 7/2 suivi de 2/3 ». Leur plan d’attaque est précis concernant la répartition des efforts avec, notamment, une accélération prévue de 100 à 200 mètres. A ce jeu, l’équipe d’Allemagne emmenée par le quintuple champion du monde Christof Wandratsch (12’08) domine la Pologne (12’35) et la Russie (12’37), suivies de près par la Hollande (12’39) et la Grande Bretagne (12’44).

(FFN/Alexandre Fuzeau)

(FFN/Alexandre Fuzeau)

On concourt pour la Coupe d’Arctique, des distances plus courtes sur 500, 200 m nage libre, 50 m brasse, nage libre et papillon. Marion Joffle empoche le titre du 50 m brasse. Dans ma catégorie, je suis sacré vice-champion sur 50 m et 100 m brasse. L’Américain Quinn Fitzgerald et la Polonaise Hanna Bakuniak remportent le 50 m nage libre. Le Russe Vladislav Sapolnikov et l’Irlandaise Ciara Doran le 200 m nage libre. Le roumain Dorin Georgescu et l’Allemande Alisa Fatum le 500 m nage libre. Au total, la France ramène sept médailles (4 pour moi, 3 pour Marion, ndlr) et se classe au cinquième rang des médailles sur 15 nations titrées. La Pologne remporte 13 médailles dont 5 médailles en or, devant l’Allemagne (9 dont 3 en or) et la Russie (8 dont 1 en or). Ce n’est donc pas un hasard si la Pologne accueillera les prochains championnats du monde à Katowice dans deux ans.

A Mourmansk, Dr. Alexandre Fuzeau

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