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La très populaire « Kiki », chouchou des Français dans les années 60, n'a pas oublié l’édition olympique de Tokyo en 1964. Bien que le report des Jeux ait été annoncé fin mars par le CIO, l'ancienne dossiste de l’équipe de France a pris le temps de nous faire partager ses souvenirs. Présente en janvier dernier à l'Institut Lumière de Lyon dans le cadre du festival « Sport, Littérature et Cinéma », Christine Caron a témoigné, ainsi qu'elle aime le faire, de son expérience au pays du Soleil levant.

Depuis la fin de votre carrière sportive, quel a été votre parcours ?

J'ai fait un disque dont les chansons ont été écrites par Antoine et Pascal Sevran et j'ai chanté pendant un mois au cabaret « La Tête de L'art » avenue de l'Opéra, un lieu où tous les artistes passaient avant de se produire à l'Olympia. Mais je ne me suis jamais prise pour une grande chanteuse (sourire)… J'ai tourné un film en Italie, « Le lys de mer » d'après un livre d'André-Pierre de Mandiargues, qui fut loin d'être un chef-d’œuvre. J'ai également fait des défilés de mode, de la relation publique dans divers domaines, beaucoup de rallyes, celui de l'Atlas, le Dakar, du circuit à Spa et au Mans. J'ai fait plein de trucs différents parce que j'étais connue et qu'on me les proposait. J'avais vingt ans et j'étais curieuse de tout. Et puis, avec une entreprise nantaise, nous avons développé un concept de piscines pour particuliers. Elles étaient baptisées « Christine Caron ». Ça a très bien marché et cette belle association a duré une trentaine d'années, jusqu'à ma retraite.

Quels souvenirs conservez-vous des Jeux olympiques de 1964 à Tokyo ?

Je me rappelle que je faisais partie des favorites. Je détenais le record du monde du 100 m dos, je survolais le niveau européen, mais c'était la première fois que je prenais part à une compétition d'un niveau mondial aussi élevé. Il faut comprendre que c'était une époque où les instances fédérales étaient beaucoup moins pointues qu'aujourd'hui. Heureusement que Suzanne Berlioux, mon entraîneur, était omniprésente jusque dans les domaines extra-sportifs. Elle a été pour moi plus qu'un entraîneur, elle était en quelque sorte une seconde maman. Pour le reste, mon souvenir de Tokyo est évidemment très bon. En natation, j'ai été la seule Française médaillée. C'était le début des olympiades des temps plus modernes. Quand on se replonge dans ces années-là, on mesure tout le parcours accompli. Les retransmissions télévisées en direct n'existaient pas encore. Les gens écoutaient les courses à la radio. Et pour moi, Tokyo a représenté la découverte d'une grande compétition mondiale omnisports. Je n'avais encore jamais rencontré les nageuses américaines et australiennes qui détenaient presque tous les records mondiaux. L'année suivante, j'ai participé au championnat des Etats-Unis, une compétition open, et j'ai été la première Française à être championne des Etats-Unis. Les championnats du monde n'existaient pas à l'époque et le niveau sportif de ces épreuves en était un peu l'équivalent. Suzanne Berlioux a fait en sorte que je puisse participer à ces compétitions et ainsi progresser. Le duo que nous formions moi, jeune fille de Français moyens, et elle, a beaucoup intrigué dans le monde entier. Nous avons ouvert une voie nouvelle vers la place de la femme dans le sport jusque-là largement focalisé sur les performances masculines. Je fais partie des précurseurs en ce domaine et je le revendique. De plus, ces voyages étaient pour moi une formidable découverte du monde.

(D. R.)

Quatre ans plus tard, à Mexico, vous avez été porte-drapeau de la délégation française. Que retenez-vous de cette expérience ?

C'était un honneur d'être la première Française nommée porte-drapeau dans ce « club » réservé aux hommes ! Mais aussi une récompense pour mes performances déjà accomplies. Plus tard, on a attendu très longtemps avant qu'une autre femme soit honorée de la sorte (Marie-José Pérec à Atlanta en 1996 et Laura Flessel à Londres en 2012, ndlr). C'était un symbole de faire une plus grande place aux femmes dans le sport. C'est une époque où le monde évoluait, où l'accès à l'information commençait à se développer. Aujourd'hui ça fait un peu partie de l'histoire de France, tout était mêlé. Les jeunes ont sans doute du mal à appréhender ce qu'étaient les choses à l'époque. Je ne suis pas féministe, je suis femme... point ! Mais je suis fière d'avoir, par ce geste, ouvert en quelque sorte une voie nouvelle aux femmes. J'ai aussi été l'une des premières sportives à sortir du champ médiatique purement sportif et à illustrer les couvertures de presses et à faire la « Une » des magazines.

Qu'est-ce qui a, selon vous, changé dans les Jeux olympiques, dans leur esprit et dans le sport en général ?

Nous on faisait du sport en noir et blanc, eux ils font du sport en couleur. C'est une image, bien sûr, mais c'est beaucoup cela quand même. Nous étions au démarrage de l'évolution du sport vers le modernisme. Mais ce qui a changé les choses, c'est que le sponsoring est arrivé. J'étais au début de ce phénomène, je recevais des monceaux de courriers. A l'époque, il n'y avait qu'une chaîne, donc quand on venait filmer mes courses et mes entraînements on ne pouvait pas zapper. Tout a changé, il m'est arrivé de nager dans des piscines non chauffées. Je ne faisais pas de musculation. Je m'entraînais avec le public, je n'avais pas de ligne dédiée. Le suivi médical et la préparation mentale n'existaient pas. C'est mon entraîneur seul qui me faisait évoluer.

Quel regard portez-vous sur les jeunes athlètes, et en particulier les jeunes nageurs actuels ?

Les athlètes d'aujourd'hui ont plus de facilités pour pratiquer leur sport, ce qui ne veut pas dire que c'est plus simple ! Les sports-études se sont multipliés, il y a plus de clubs. Le suivi médical est aussi un atout. Il y a plus de meetings, de rencontres internationales, beaucoup de sportifs sont professionnels, les aides sont plus importantes. Maintenant, que ce soit à n'importe quelle époque, lorsque l'on a de grandes ambitions, il faut se donner les moyens pour y parvenir. La clé, c'est le travail. Il ne faut jamais baisser les bras. Devenir un champion dans n'importe quelle discipline n'a jamais été un long fleuve tranquille, mais c'est tellement fort comme sensation, comme challenge, que faire des sacrifices en vaut vraiment la peine. Personnellement, je ne regrette rien, j'ai aimé tout ce que le sport m'a apporté.

(FFN/Philippe Pongenty)

Pouvez-vous nous parler de l'équipe de France actuelle de natation ? Quels sont selon vous ses atouts, ses chances pour Tokyo 2021 ?

Je suis de loin ses performances et je ne vais pas non plus assister aux compétitions. Je sais néanmoins qu'elle a signé quelques résultats intéressants au dernier championnat d'Europe en petit bassin (Glasgow, décembre 2019). A présent, ma vie ne tourne pas qu'autour du sport, mais j'adore suivre les épreuves à la télévision car les images sont toujours magnifiques. En revanche, j'ai croisé plusieurs fois Florent Manaudou à la piscine de la Croix-Catelan, où j'ai moi-même l'habitude de nager. Il vient parfois s'y entraîner lorsqu'il est de passage à Paris. Ça me permet de voir cette puissance qu'il développe dans l'eau. C'est en plus quelqu'un de très poli et de très agréable.

Regrettez-vous quelque part de ne pas être compétitrice aujourd'hui ?

J'ai adoré mon époque, mais ce que j'aurais aimé, c'est avoir les facilités qu'ils ont aujourd'hui, tel le sport-étude. Il a fallu beaucoup se bagarrer pour avoir ce qu'on a, mais c'est normal. Lorsqu'on entreprend quelque chose, il faut d'abord défricher. Et parmi les choses que j'ai le plus aimées, ce sont mes découvertes, mon ouverture au monde. Cathy Ferguson (nageuse américaine double médaillée d'or aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964, ndlr) est devenue une copine. On s'écrivait, ça me faisait travailler mon anglais. Je lui ai fait découvrir Paris. C'était aussi une perpétuelle ouverture sur le monde de s'imprégner des cultures des pays où nous conduisaient les compétitions.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes athlètes d'aujourd'hui ?

Je leur souhaite tout d'abord de profiter pleinement de cette chance qu'ils ont de pouvoir participer à de grands événements, mais aussi de penser à leur reconversion. J'observe, en effet, que dans le monde du sport actuel beaucoup d'athlètes qui ont bien représenté la France éprouvent encore beaucoup de difficultés à trouver une reconversion. La situation s'est sûrement améliorée, mais il reste beaucoup de choses à faire dans ce domaine. Plus largement, je souhaite également que la France ait davantage de piscines. Cela répond à un réel besoin dans le but de développer plus largement l'apprentissage de la natation.

Recueilli par Laurent Thuilier

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