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Marion Joffle est la reine de l'eau glacée en France. A 20 ans seulement, son palmarès est déjà bien garni avec plusieurs titres de championne de France et une médaille récoltée aux Mondiaux de Mourmansk en mars dernier. Jeune femme de défi, elle a décidé de poursuivre son parcours atypique en 2020 avec la traversée de la Manche à la nage au profit des enfants malades. Une nouvelle épreuve qui symbolise son combat pour la vie.

Tu as commencé la natation d'une manière singulière.

Oui, à l'été 2007, j'étais en vacances à Canet-en-Roussillon dans le Sud de la France. Il y avait un super toboggan aquatique, mais je n'avais pas le droit d'y aller parce que je ne savais pas nager. A mon retour en Normandie, j'ai pris une quarantaine de leçons de natation. Le jeu l'a vite emporté et j'ai intégré le club de Lisieux et démarré les premières compétitions. Au début, je me suis tournée vers les épreuves de sprint (50 et 100 m nage libre). Je n'aimais pas nager longtemps. Avec la découverte de l'eau libre, tout a changé ! J'ai appris à aimer les longues distances.

Comment as-tu découvert l'eau libre ?

En 2011, une amie m'a proposé de participé au Tour du Roc à Granville. Dans ma catégorie, la distance maximale était de 20 km. Je l’ai abordé comme un test et j’ai tout de suite accroché ! Dans l'eau libre, on s'évade, il y a une sensation de liberté qu'on ne retrouve pas dans un bassin. C'est aussi une épreuve mentale. Au début, le froid est très difficile à supporter, il faut presque nager contre soi-même.

Pourquoi avoir tenté ta chance dans les épreuves d’eau glacée alors ?

La nage en eau glacée est arrivée avec mon projet de traversée de la Manche à la nage. Philippe Fort, qui a lui-même réussi cette traversée, m'a amenée vers la discipline. En ice swimming, la température de l'eau est inférieure à 5 degrés. Au début je nageais 100 à 200 mètres, jusqu'à atteindre un kilomètre.

Marion Joffle lors de la première éditon des championnats de France de natation hivernale à Vichy, début février 2019 (KMSP/Stéphane Kempinaire).

En deux ans de compétition, tu possèdes un palmarès déjà bien rempli ?

Oui, j'ai participé à mon premier kilomètre en eau glacée en janvier 2018 en Allemagne. A la mi-mars de cette année, lors des championnats du monde en Russie, j'avais pour objectif de me donner à fond et peut-être de ramener une médaille. J'en reviens plus que comblée avec l'or sur le 100 m brasse. J'ai également décroché l'argent sur le 50 m brasse et le bronze sur le 50 m papillon lors de la coupe d'Arctique. Mais l'épreuve que je retiens le plus au-delà des médailles, c'est le 1000 mètres des Mondiaux où je termine quatrième. On s'essouffle vite, c'est à la fois magique et terrible à gérer.

Avec l'organisation des premiers championnats de France cette année, tu t'attends à voir la concurrence s'étoffer ?

Jusqu'aux premiers championnats de France en eau glacée à Vichy, j'étais la seule française à avoir bouclé un 1 000 mètres. Maintenant, nous sommes cinq chez les femmes ! Tant mieux, même si ça reste peu par rapport à d'autres pays, mais j'espère que la discipline va se développer grâce à la Fédération française de natation. On l'a vu, ces championnats de France était une belle découverte et une belle organisation avec une cinquantaine de nageurs. J'étais très heureuse d'avoir transmis mon expérience aux autres participants, malgré mon jeune âge.

Suis-tu un entraînement particulier pour réaliser de telles performances ?

Je m'entraine quatre heures par jour, deux heures le matin et deux heures le soir. Je suis le même programme que les demi-fondeurs, sauf pendant la période hivernale. Je m'entraîne sans faire de coulée et de culbute. Ce travail a bien marché lors des championnats du monde en Russie.

Marion Joffle a pris part mi mars aux championnats du monde en eau glacée à Mourmansk (Russie) (D. R.).

Comment prépares-tu ton corps à affronter ces températures polaires ?

Je l'acclimate au froid. Au début, je nageais au lac de Pont l'Evêque, l'eau atteint 2 degrés l'hiver. Aujourd'hui, c'est trop loin de mon club actuel, l'EN Caen. Je me débrouille comme je peux. J'ai installé un récupérateur d'eau de pluie à la piscine, je m'immerge dans de l'eau froide plusieurs minutes. Cette année, pour les championnats du monde, la température de l'eau approchait les 0 degrés. J'ai obtenu l'autorisation d'une entreprise, la SCA Normandie, pour me préparer dans leurs entrepôts frigorifiques ! Ils m'ont installé une petite piscine gonflable avec des glaçons ! Je m'y suis baignée quelques minutes chaque jour. Ce ne sont pas les conditions idéales, mais comme on le disait l'ice swimming n'est pas encore très développé en France.

C'est une discipline atypique. Comment ont réagi tes proches quand ils ont appris que tu t'y lançais ?

Ils n'ont pas forcément accueilli la nouvelle d'un très bon œil. Ils ont eu peur que je me mette en danger au début, surtout mon frère qui est étudiant en médecine. Mais mon parcours est, de toute façon, atypique. Maintenant, ils me soutiennent et me font confiance. D'ailleurs, sans ma maman, je ne ferai pas tout ça. Elle m'accompagne dans mes déplacements à l'étranger et m'encourage à me dépasser. Pour éviter tout risque, sur le 1000 mètres, chaque concurrent est suivi en bout de ligne par une personne. Ma maman était là pour mon premier 1000 mètres en eau glacée pour vérifier que tout allait bien. Excepté lors des championnats du monde cette année, c'est toujours elle qui est en bout de ligne pour me suivre.

Nage-t-on différemment dans l'eau glacée ?

Lors de ma première compétition en Allemagne en janvier 2018, j'ai nagé le 1 000 mètres dans une eau à 3,8 degrés. On nage en maillot de bain, les combinaisons sont interdites. Avec le froid, tous les muscles sont contractés. Grâce à l'entraînement on arrive un peu à dépasser ça. L'épreuve se termine vraiment quand notre corps est réchauffé. Il y a peu de danger sur le 50 ou le 100 mètres. Mais il m'est déjà arrivée sur un 1000 mètres, de ne pas réussir à sortir de l'eau toute seule. Mes pieds et mes mains tremblaient.

Est-ce difficile de bien se réchauffer en sortant de l’eau ?

Le plus dur, c'est l'après-course ! En janvier 2019, je n'étais pas préparée à affronter une eau à 1,7 degrés, je zigzaguais dans l'eau. Après l'épreuve, j'avais des troubles de la vision, j'ai mis une heure à me remettre d'aplomb. La technique de nage diffère aussi des bassins. Pour préserver les organes vitaux du froid, il n'y a pas d'immersion complète ou du moins longue, de la tête, et donc pas de plongeon, de coulée et de culbute. Sur les courtes distances, il y a une certaine tolérance de la part des officiels, beaucoup moins sur le 1 000 mètres. En brasse, je garde toujours la tête au-dessus de l'eau. Sur un 50 mètres brasse, je nage 2 secondes moins vite qu'en bassin et sur un 100 mètres brasse, 6 secondes moins vite, par exemple.

Marion s'apprête à s'élancer dans une eau à 0°C lors des championnats du monde de Mourmansk en Russie (D. R.).

Marion Joffle a pris la quatrième place du 1 000 mètres en 13’43, nouveau record de France, et s'est adjugé le 50 m brasse de la coupe d'Arctique (D. R.).

Tu as aussi un autre record à ton actif.

Aux 24 heures de Lausanne, j'ai nagé 70 km en 22h10. Je n'ai pas encore officiellement le record du monde de la plus grande distance parcourue en 24 heures. J'ai fait la demande pour intégrer le Guinness des records. Pour l'instant, la première étape est validée. L'épreuve demande surtout du mental. Après 22 heures de nage, mon corps était en hypothermie, j'étais descendue à 34 degrés.  Mais bizarrement, je n'avais pas la sensation de froid que l'on ressent dans l'ice swimming.

Prépares-tu de nouveaux défis en 2020 ?

Je me prépare pour la traversée de la Manche à la nage en septembre. En ligne droite, il y a 35 km, mais en fonction des courants, ça peut monter jusqu’à 40 à 45 km. Avec mon niveau actuel, j'aimerai réaliser la traversée en moins de 10 heures. Tout dépendra des conditions météorologiques le jour J. Ce défi est le symbole de mon combat pour la vie. Je nagerai sous les couleurs de l'Institut Curie pour les enfants malades. A 5 ans, j'ai passé du temps là-bas pour soigner un cancer. On m'a amputée le majeur droit. Quand je nage, je pense à eux. Ils me motivent et me donnent un élan supplémentaire.

Que peut-on te souhaiter pour la suite de ta carrière ?

L'inscription de l'ice swimming aux Jeux Olympiques d'hiver est à l'étude. Une délégation était présente lors des championnats du monde en Russie. Alors pourquoi ne pas participer avec l'équipe de France aux JO d'hiver. Ça serait énorme, en tant que nageuse, et encore une fois complètement atypique.

Recueilli par Céline Diais

Pour soutenir le projet de Traversée à la nage de Marion : https://www.leetchi.com/c/projets-de-marion-joffle

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