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Depuis le 17 mars, les piscines et autres infrastructures sportives ont été fermées au public. Alors les nageurs et plus largement les athlètes français ont dû revoir leurs plannings d’entraînement. Ce qui veut dire s’adapter et se réinventer pour tenter de garder la forme physique à la maison. Mais cette période peut aussi être l’occasion d’approfondir un autre aspect primordial de la performance sportive : le travail mental. Nous avons échangé avec Emilie Thienot, référente à la Fédération Française de Natation sur la préparation mentale. Cette psychologue et ancienne sportive de haut niveau nous confie les stratégies, les conseils et autres aides misent en place pour épauler les athlètes en cette période difficile. Pour qu’ils puissent faire de ce confinement un temps où ils prennent soin de leur corps mais aussi et surtout de leur tête.

Quel est votre rôle au sein de la FFN ?

La FFN a créé une cellule d’optimisation de la performance. Dans cette dernière, je suis la référente sur la dimension mentale. Ce qui veut dire que je coordonne les actions sur les interventions en préparation mentale, en psychologie mais je n’interviens pas auprès des athlètes. En lien avec la direction technique nationale, on identifie les besoins en fonction des disciplines. On a un référent par spécialité, sauf sur la natation course dont la mise en place d’un référent a été un peu retardé avec le contexte actuel. Pour l’eau libre, c’est Emilie Pelosse, pour la natation artistique, Maël Goisbault, pour le water-polo féminin, Sophie Huguet et c’est Cecilia Delage qui s’occupe du plongeon. Ils sont à la fois référents de leur discipline et ils interviennent auprès des entraîneurs et des sportifs. Notre rôle est de former, donner des outils et de développer l’autonomie à ce niveau-là. Mais cela doit aussi passer par les entraîneurs donc on n’a pas besoin d’être présents tout le temps. La FFN a voulu une clarté en matière organisationnelle, avec des missions claires et aussi un vrai budget.

Les intervenants sont-ils présents à temps plein pour les athlètes ?

Non, ils travaillent dans d’autres fédérations. Pour les athlètes de la FFN, cela varie entre 30 et 40 jours sur l’année. Parfois ce sont des entretiens d’une heure qui vont se répartir sur plusieurs semaines. Aujourd’hui, ils vont sur le terrain, à l'entraînement, partent en stage, en compétition, font aussi des entretiens à distance ou en présentiel, des réunions avec le staff... Je pense qu’il en faudrait encore plus, mais c’est déjà un bon point de départ.

Les athlètes et les entraîneurs sont-ils demandeurs ?

Je pense qu’il y a aujourd’hui une vraie reconnaissance de la nécessité d’avoir des personnes expertes qui permettent d’aller plus loin dans cette dimension. Les retours sont très positifs. Aujourd’hui, la dimension mentale se doit d’être complètement intégrée dans l’approche globale des sportifs. Et que ce soit le staff ou les sportifs, ils sont effectivement très demandeurs. Le fait aussi que cela devienne officiel, qu’il y ait une vraie place au sein de la fédération, cela facilite aussi beaucoup la levée d’une potentielle résistance.

(Adobe Stock)

Cela prend tout son sens dans une telle période... Quel a été votre réflexe à l’annonce du confinement ?

Dès que le confinement a été confirmé, j’ai réuni en visio-conférence les quatre intervenants qui officient dans chaque spécialité. Emilie Pelosse a une bonne expérience en gestion de crise et notamment des risques psychosociaux puisqu’elle travaille sur ces domaines en entreprise. Donc nous nous sommes appuyés sur son expérience pour établir les priorités. Le plus important dans un premier temps était de faire de la prévention sur les risques psychologiques associés à cette situation. Ces risques sont présents pour tout individu qui vit ce confinement. Et puis, il y a évidemment un caractère particulier comme ce sont des sportifs à qui l’on retire les objectifs de la saison, qu’ils se retrouvent enfermés, avec des incertitudes sur la suite des événements et qui en plus ont une activité physique d’habitude très importante qui diminue. Cela fait donc beaucoup de changements et de pertes de repères. Il a fallu réfléchir à comment communiquer pour réaliser cette prévention de la manière la plus large, mais aussi la plus pertinente possible. Cela ça a été la première chose. Ensuite, il fallait donner des stratégies simples et qui participent à cette prévention des risques psycho-sociaux parce qu’on sait que les situations d’isolation, de quarantaine, peuvent générer des symptômes post-traumatiques.

Qu’avez-vous mis en place pour les épauler ?

La question a été de savoir comment partager des stratégies simples qui permettront de prévenir ces conséquences, de diminuer le niveau d’anxiété, d’aider les sportifs à gérer au mieux cette situation et de renforcer leur résilience. A partir de là, on s’est dit que le meilleur moyen de partager tout cela était de le faire via une infographie. Cela permet d’amener un contenu assez clair pour comprendre ce qu'il se passe en eux d’un point de vue psychologique, comment cela peut les impacter, quels sont les mécanismes en jeu, quelles sont les réactions qu’ils peuvent avoir ou qui peuvent porter atteinte à leur santé mentale... Parce que la priorité, c’est de préserver notre santé mentale. Chacun doit prendre conscience qu’il y a un vrai enjeu de prendre soin de soi physiquement, mais aussi mentalement pour diminuer la difficulté à gérer tout ce que l’on vit et en vue d’une reprise.

 

 

 

(Infographie réalisée par Emilie Pelosse et Maël Goisbault)

Pouvez-vous nous commenter cette infographie ?

La partie de gauche aide à comprendre les mécanismes psychologiques. Car face à une crise sanitaire mondiale, il y a beaucoup d’incertitudes, de pertes de repères qui peuvent créer des cercles vicieux, des comportements qui ne vont pas nous aider. Cela peut être de jouer aux jeux vidéo toute la journée, se coucher très tard, devenir irritable, se renfermer, sur soi, ne plus communiquer... Notre but a donc été de mettre en avant les risques. L’autre partie fait état des stratégies que l’on doit utiliser pour essayer de vivre au mieux cette période et développer notre résilience. Là-dessus, on a mis en avant des stratégies sur la notion d’acceptation. Car nous sommes dans une situation que l’on ne peut pas contrôler, avec des émotions difficilement gérables. Donc il est primordial de se dire que tout cela n’est que transitoire. Il faut aussi accepter ce que l’on ressent, la situation, pour ne pas que cela génère plus de frustration, de panique. La mise à distance de nos émotions passe par cette acceptation. Il y aussi cette notion de donner du sens. C’est à dire qu’à un moment donné, on perd nos repères mais il est important de s’approprier ça et de reprendre le contrôle en se fixant de petits objectifs qui pourront nous rendre fier. Il faut rester maître de son propre confinement. L’idée est d’être satisfait de soi dans la manière dont vous aurez géré cette période. Car ce sentiment de satisfaction et d'accomplissement va participer à la motivation et la santé mentale, la résilience... Enfin, il y a toute la partie connectée qui est hyper importante. Le soutien social est un facteur fondamental pour faire face à ce genre de situation. Il faut rester connecté avec ses proches, avec ses collègues, pour ne pas s’isoler, continuer d’appartenir à quelque chose. Même s’il y a une distanciation physique qui doit être mise en place, cela ne veut pas dire distanciation émotionnelle.

A qui a été adressée cette infographie ?

Elle a été diffusée à toutes les structures qui appartiennent au PPF, le Projet de Performance Fédérale. Il y a d’une part les sportifs de très haut niveau, mais aussi tous ceux qui n’ont pas forcément accès à un soutien direct : les espoirs, ceux en voie d'accession... C’est aussi pour toute cette population qu’on l’a mise en place. Et on a également créé un outil de suivi de ces émotions qui permet de recenser quotidiennement l’état émotionnel des athlètes, positif comme négatif. En gros on a utilisé les émotions du film d’animation Vice-versa : la joie, la tristesse, la peur et on y a ajouté le stress. On a voulu créer une sorte de carnet de recensement de ces émotions au quotidien avec un système d’alertes. Si le score est supérieur à un certain chiffre, le voyant se met au rouge et cela les encourage à développer les stratégies données dans l’infographie. Ils peuvent aussi contacter leurs entraîneurs, leurs intervenants en préparation mentale et le cas échéant, me contacter directement sur mon adresse mail.  Évidemment, cela suggère qu’ils le fassent, mais bon… L’objectif était au moins de leur mettre à disposition. 

(Adobe Stock)

Cela reste donc au bon vouloir de l’athlète ou de l'entraîneur…

Oui, c’est leur choix à la base. Il faut qu'ils aient envie de s’engager dans tout ça. De notre côté, on se focalise sur ce que l’on peut contrôler et on ne peut pas contrôler le choix de chaque athlète malheureusement. En revanche, avec la Direction technique nationale, nous avons mis en place une petite cellule avec le responsable de la préparation physique, le responsable de suivi de la charge d’entraînement, le responsable des kinés et un médecin. Chaque semaine, un questionnaire est envoyé à tous les sportifs en structure PPF pour faire un état des lieux de leur moral, de la qualité de leurs entraînements, pour identifier leurs besoins ou les possibles difficultés rencontrées. Par exemple, s’il y en a un qui a un moral en dessous de la moyenne, on contacte son entraîneur. La dernière chose que l’on vient de mettre en place c’est une Dropbox où il y a tous les outils sur les trois grandes thématiques : comment j'accepte, comment je m’adapte et comment je me connecte. On l’a envoyée à tous les sportifs et entraîneurs. Ils ont des exercices de pleine conscience, de respiration, des recommandations, des infographies... Notre objectif est de sensibiliser, de donner les clés.

Comment les athlètes vivent-ils cette période ?

Il y a plusieurs types de réaction... Ceux qui vivent bien la situation et ont envie de la mettre à profit pour développer des techniques en prépa mentale, par exemple. Ils vont travailler sur la visualisation, les techniques de pleine conscience, des choses qui vont vraiment être en lien avec leurs performances futures. Il y a aussi les sportifs qui ont terminé un cycle d'entraînement, qui sont plutôt en récupération, comme j’ai le cas en aviron en ce moment. Pour l’instant, penser à leur performance n’est pas forcément nécessaire parce qu'ils sont en pause mentale. Le soutien que je leur apporte est sur leur bien-être, sur la meilleure manière de récupérer mentalement pour reprendre l'entraînement avec le plus d’énergie possible. Et là, on ne va pas forcément travailler sur la préparation mentale en tant que telle. Il y a aussi les athlètes, ou les entraîneurs d’ailleurs, qui se trouvent en difficulté d’un point de vue émotionnel et psychologique. Là, on sera dans le soutien psychologique, l’accompagnement pour les aider à faire face à cette situation. Mais tout est lié. Ce qu’ils vont travailler aujourd’hui pour gérer leurs émotions pourra être réutilisé plus tard pour la gestion du stress en compétition.

Avez-vous eu des retours sur ce que vous avez mis en place ?

Personnellement je ne suis pas au contact des athlètes donc je ne sais pas précisément. J’ai eu des retours des directeurs de structures qui étaient rassurés d’avoir ça à disposition. Les médecins aussi semblent très contents qu’on ait pris ça en main, parce qu’ils considèrent que la santé mentale est très importante. J’ai eu aussi des retours d'autres fédérations qui ont demandé à utiliser et diffuser l’infographie. Comme la Fédération française de Tir à l’arc, d’Athlétisme et celle d’Aviron. C’est important que l’on puisse mutualiser dans le sport. 

(Adobe Stock)

Pour résumer, quel est le plus important quand on est athlète en ce moment ?

Ce qui est primordial, c’est d’identifier ses réactions face à tout ça pour pouvoir prendre de la hauteur. Il faut vraiment identifier ce que l’on ressent, se connecter avec ce que l'on ressent. La deuxième chose, c’est d’accepter ce que l’on ne peut pas contrôler et de se concentrer sur ce qu’on peut contrôler. C’est super important pour ne pas subir et se réapproprier un peu cette période et lui trouver du sens. Et puis, il y a aussi le soutien mental, donc de rester connecté avec son environnement. C’est un résumé de ce qui se trouve dans l'infographie, mais c’est fondamental. Et à partir de là, on peut envisager tout ce qui est imagerie mentale.

L’idée est donc de pratiquer son sport mentalement ?

Oui ! Cela permet de revenir potentiellement avec une exécution technique, des repères … Cela permet de minimiser la perte sur les aspects techniques, de maintenir sa motivation, de potentiellement gagner en capacité de concentration, en confiance. Je le fais personnellement avec la Fédération Française d’Aviron, mais je sais que de nombreuses fédérations le proposent aux sportifs qui le souhaitent, comme la FFN. Regarder des vidéos de soi ou des images d’athlètes très bons, s'imaginer ensuite pratiquer sa discipline et mimer les gestes permet de limiter l’impact du manque d’activité. Il y a des études qui ont montré que la pratique de l’imagerie peut faire progresser ou au moins maintenir un certain niveau technique. Et puis cela permet surtout de faciliter le retour à l’activité par la suite.

Ce confinement n’est-il pas l’occasion de tout simplement prendre le temps ?

Oui, il ne faut pas être dans l’excès. Je me rends compte qu’il y a énormément de choses sur les réseaux pour mettre à profit cette période. Mais il faut aussi prendre le temps de se ressourcer, de ralentir, de prendre soin de soi, de se détendre. Parce qu’il faut accepter que le niveau d’exigence ait diminué. On ne peut pas être au même niveau de production que d’habitude.

Recueilli par Chloé Joudrier

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