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Confiné dans le sud de la France depuis mercredi (18 mars), David Aubry, médaillé de bronze sur le 800 m nage libre des derniers championnats du monde de Gwangju (Corée du Sud) et qualifié pour le 10 km des Jeux de Tokyo, tente de garder son sang-froid face à l’épidémie et de se maintenir en forme dans la perspective de Jeux olympiques de plus en plus incertains.

Où es-tu confiné ?

Depuis mercredi (le 18 mars), je suis à Grasse, chez mes parents. Lundi matin (le 16 mars), j’étais encore à l’entraînement à Montpellier avec Philippe (Lucas). Nous avons nagé 3 200 mètres en 45 minutes avant que la piscine ne ferme. Mardi matin, il y avait une séance de musculation et c’est là que j’ai demandé à Philippe si je pouvais rentrer chez mes parents. On a encore fait une séance de muscu mercredi matin, puis Philippe m’a dit que je pouvais prendre la route.

Comment s’est déroulé le trajet ?

Franchement, c’était très étrange ! Il n’y avait personne sur la route. J’ai mis nettement moins de temps que d’habitude. Je crois aussi que ça tient au fait que je n’ai pas l’habitude de rentrer chez mes parents à cette période de l’année. D’ordinaire, je rentre pour Noël, mais après j’enchaîne jusqu’à la compétition internationale de l’été. Après, les événements nous imposent de nous adapter. Rentrer à Grasse, c’était la meilleure chose à faire.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Tu ne te voyais pas rester seul dans ton appartement montpelliérain.

Après l’entraînement de lundi, j’ai passé tout l’après-midi chez moi. Franchement, c’était long ! C’est ce qui m’a poussé à demander l’autorisation à Philippe de rentrer chez mes parents. Au moins, à Grasse, je ne suis pas seul. Les journées vont être longues, mais je n’aurais pas l’impression d’être emprisonné entre quatre murs.

Es-tu en contact avec le staff de l’équipe de France ?

Oui, je suis en contact avec Philippe (Lucas) et Stéphane (Lecat, Directeur de l’eau libre). On a aussi créé un groupe WhatsApp avec tous les membres de l’équipe de France d’eau libre afin de se tenir au courant. Stéphane m’a appelé mercredi et j’ai eu Philippe aujourd’hui (jeudi 19 mars) pour évoquer ma séance de musculation « à la maison ». Je suis le programme qu’il m’a préparé, mais je pense y ajouter des séances de natation dans la piscine de mes parents. Hier, elle chauffait, mais demain (vendredi 20 mars), ce sera bon.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

De quelle sorte de piscine tes parent disposent-ils ?

Ce n’est pas un bassin olympique, évidemment, mais c’est déjà ça. Elle fait sept mètres sur trois, mais je compte nager avec un élastique de résistance. De la sorte, je pourrais pratiquer toutes les nages. Bien sûr, je ne pourrais pas faire de grosses séries et il n’y aura pas non plus de vitesse max, ce sera juste nager pour nager.

Ces conditions d’entraînement ne risquent-elles pas d’être un peu « légères » dans la perspective des Jeux olympiques ?

C’est insuffisant, mais j’essaie de relativiser parce que je sais que certains nageurs ne peuvent même pas se mettre à l’eau. Ce qui m’agace, c’est qu’il semblerait qu’à peu près tous mes concurrents étrangers réussissent encore à s’entraîner. J’ai l’impression que je vais prendre du retard et que je le paierais à un moment ou à un autre. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot : les Jeux se tiendront dans quatre mois et demi. Même si cette période de confinement se prolonge, j’aurai encore le temps de travailler pour combler mon retard…

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

On te sent contrarié, voire frustré, non ?

Je suis un peu agacé parce qu’évidemment ce confinement ne tombe pas bien, mais je relativise. Ce qui m’inquiète, c’est que cette période dure et que derrière, je galère à retrouver mon niveau. C’est dommage parce que je me sentais super bien ces dernières semaines. Malgré tout, il faut rester calme et lucide, ne pas perdre son sang-froid et tout faire pour se maintenir en forme.

Le fait que tu sois d’ores et déjà qualifié pour le 10 km des Jeux de Tokyo et pré-qualifié sur le 800 m nage libre (distance sur laquelle il a décroché une médaille de bronze lors des derniers championnats du monde de Gwangju, l’été dernier, ndlr) change-t-il quelque chose ?

Oui et non ! Disons que je suis un peu plus serein quant aux critères de sélection, mais je reste un compétiteur. Moi, quand je m’aligne sur une compétition d’eau libre ou de bassin, c’est pour tout donner, claquer un chrono et gagner ! C’est forcément une pression en moins, mais il ne faut surtout pas que je me détende ou que je me mette à attendre de voir comment les choses vont tourner.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Dans le journal l’Equipe de mardi (17 mars), le décathlonien Kevin Mayer réclamait un report des Jeux olympiques. Partages-tu sa requête ?

Pas vraiment… Enfin, ça dépend…

De quoi ?

Les décaler, pourquoi pas, mais de combien de temps ? Cette saison, j’ai tout donné pour les Jeux. Je me vois mal continuer de bosser à ce rythme pendant encore un ou deux ans. Les Jeux en 2022 ? Je ne sais pas si ça aurait du sens… Sans compter que nous, en eau libre, on ne peut pas nager à n’importe quelle période de l’année.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Préfères-tu qu’ils soient annulés purement et simplement ?

Même pas… Je préfèrerais qu’ils soient maintenus, mais à condition qu’on trouve des solutions pour que les athlètes de haut niveau puissent se préparer dans des conditions dignes de ce nom et pas chacun de leur côté.

Et si le confinement s’éternise jusqu’au mois de mai ?

C’est sûr qu’il ne resterait plus beaucoup de temps pour s’entraîner. Dans ce cas, je pense qu’ils seraient annulés. Enfin j’imagine qu’à un moment, le CIO va prendre une décision. Pour le moment, je trouve qu’il y a peu d’informations. J’ai un peu de mal à dégager une tendance. Ils disent que les Jeux vont se dérouler comme prévu, mais tout le monde voit bien que l’épidémie est désormais mondiale. En tout cas, s’ils les annulent, ce serait un coup dur…

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Le fait d’être nageur d’eau libre et d’être constamment confronté à des conditions de course différentes te donne-t-il des capacités d’adaptation supérieure à la moyenne ?

S’adapter en course, c’est une chose, mais là, la situation que nous vivons est quand même très particulière. Il me semble également que tous les athlètes de haut niveau disposent de qualités d’adaptation. Je dirais même que c’est une condition déterminante pour réussir.

Un dernier mot sur le coronavirus, as-tu peur de tomber malade ?

Par principe, je me méfie toujours des virus. Pour nous les athlètes de haut niveau, ça peut avoir de lourdes conséquences. Après, oui, j’essaie de m’informer, de voir un peu de quoi il retourne et comment la situation évolue, mais je reste le plus calme possible et j’essaie de ne pas oublier que des Français sont malades, parfois gravement. C’est à eux que je pense quand je sens que je perds mon sang-froid.

Recueilli par Adrien Cadot

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