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Amulettes, talismans, gris-gris porte-bonheur et autres rituels ont leurs adeptes, y compris chez les sportifs de haut niveau. Ces superstitions leurs sont-elles utiles dans la quête de l'exploit ? Pas sûr. Dans la confiance et la concentration, sans doute. Tentative d’explication.

Depuis la nuit des temps, l'homme, en proie à de sombres croyances, a cherché à conjurer le mauvais sort. Les cérémonies sacrificielles portées au fil des siècles par quelques civilisations primaires ou sectes guidées par l'Au-delà font, fort heureusement, partie d'une époque que l'on espère définitivement révolue. Il n'en demeure pas moins que la patte de lapin, le fer à cheval ou le trèfle à quatre feuilles sont, aujourd'hui encore, synonymes de porte-bonheur. Dans notre monde sur-connecté, où rien ne semble échapper à la conscience humaine, ces pratiques semblant surgir d'un autre âge ont encore leurs adeptes. Des pratiques qui rassurent et auxquelles il convient de se soumettre, comme pour s'octroyer les bonnes grâces du destin ou de celui qui les régit. Le monde du sport, plus qu'aucun autre peut-être, n'y échappe pas. A la clé, il y a la perspective - toujours hypothétique - de performance et surtout de moisson victorieuse. Il existe ainsi des rites collectifs comme le célèbre Haka emprunté à la culture Maori, interprété par l'équipe des All Blacks avant chaque match depuis 1905 et attendu avec délectation par le public et les caméras de télévision. Un moyen pour les rugbymen néo-zélandais de rendre hommage à leur culture tout en intimidant leurs adversaires. Une manière plutôt « guerrière », en tout cas démonstrative et parfaitement orchestrée, de se mettre en condition. En revanche, sur les terrains de football, une fois « l'exploit » accompli, les sauts périlleux, messages gestuels « codés » et autres glissades ventrales occupent le podium des célébrations coutumières du buteur. Un buteur tout aussi prompt, dans un réflexe quasi religieux, à faire le signe de croix ou à embrasser son maillot en témoignage d'amour pour son club.

Avant une course, l’Américain Caeleb Dressel ne manque jamais de s’agenouiller quelques secondes pour prier en pressant contre sa bouche ou son front le bandana dont il ne se sépare jamais (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Mais dans un sport où la concentration s'impose avant l'effort bref et solitaire qu'en est-il ? Gris-gris, objets fétiches, talismans et amulettes en tous genres y ont bien sûr leur place. Il y a aussi les tatouages et autres piercings arborés comme d'éternels porte-bonheur inscrits dans la chair même de l'athlète. Sans oublier les rites gestuels ou spirituels parfois imperceptibles qui donnent au compétiteur le supplément de force auquel il croit. Enseignante-chercheure au laboratoire sur les vulnérabilités et l'innovation dans le sport à l'Université Lyon 1 UFRSTAPS et préparatrice mentale, Virginie Nicaise nous livre son analyse : « Le phénomène superstitieux est particulièrement répandu et accepté dans le contexte sportif. Zinedine Zidane avait, par exemple, pour habitude d'enfiler d'abord la chaussette droite, puis la chaussette gauche. Rafael Nadal a, quant à lui, l'habitude de demander à récupérer la balle avec laquelle il vient de gagner pour servir le point suivant. C'est le cas également de tout sportif qui, en cas de victoire, va garder la même serviette pour le tour suivant. Le recours à des rituels superstitieux est lié à une forme d'anxiété générée par l'incertitude du résultat, d'une performance, et peut nourrir un certain sentiment de contrôle. La superstition n'est pas à confondre avec les rituels, les routines. Une routine devient superstitieuse quand l'athlète se sent obligé de respecter un ordre spécifique auto-imposé. A ne pas confondre avec les routines de pré-performance qui sont des stratégies cognitives (liées au processus d'acquisition des connaissances, ndlr) qui aident les compétiteurs à être physiquement, techniquement et mentalement prêts pour leur match ». Sur le bord des bassins de compétition, le nageur américain Caeleb Dressel ne passe pas inaperçu au moment de monter sur le plot de départ. Fort de prédispositions qui font (déjà) de lui l'une des valeurs sûres pour les Jeux de Tokyo, le multiple médaillé d'or des derniers championnats du monde entre dans une profonde concentration que complète une brève prière. Mais ce qui le distingue de ses concurrents, c'est l'éternel bandana, tantôt déposé sur sa tête, tantôt tenu serré entre ses dents, dont il ne se sépare jamais. Objet devenu fétiche que lui offrit un jour le mari d'une de ses professeures de lycée disparue d'un cancer du sein en 2015, et qui fut l'une des premières à croire en son immense talent de compétiteur. De cette histoire très personnelle, « l'alligator de Floride » semble aujourd'hui puiser une part importante, en tout cas indispensable, de sa concentration et de sa motivation.

Si Solène Lusseau, membre de l’équipe de France de natation artistique depuis 2015, n’est pas superstitieuse, elle admet se soumettre à quelques rituels, comme se munir des mêmes chaussettes les jours de compétition (FFN/Philippe Pongenty).

Membre de l'équipe de France de natation artistique depuis 2015, multiple championne de France avec son club et cinquième en highlight aux derniers championnats du monde à Gwangju (Corée du Sud), Solène Lusseau assure, quant à elle, ne pas avoir recours à un quelconque objet fétiche. Elle admet néanmoins se soumettre à quelques habitudes, comme se munir toujours des mêmes chaussettes les jours de compétition. La plupart de ses coéquipières ont, elles aussi, leurs habitudes, plus proches du rite de concentration que d'un réel cérémonial aux accents superstitieux. « Certaines déballent un nouveau pince-nez à chaque compétition ou éprouvent le besoin de se frotter le nez sur le tee-shirt d'un coach afin que le pince-nez tienne bien lors de la pause. D'autres ont pour habitude de s'arroser les jambes avec une bouteille d'eau hyper froide. Moi-même j'apprécie qu'une coéquipière ou un coach me donne de petites claques partout sur le corps en guise de stimulation musculaire », explique la Nantaise. Avant de poursuivre : « On a toutes une petite routine pour se préparer, notamment au niveau du coiffage ou du maquillage. En compétition, mon sac est toujours organisé de la même façon, les choses y sont toujours rangées au même endroit ». Pour le reste, il est vrai qu'un sport d'équipe, et singulièrement la natation artistique, s'accommode difficilement de pratiques individuelles trop démonstratives. Solène Lusseau se souvient bien des trois discrets signes de croix que faisait l'une de ses anciennes coéquipières avant d'aborder la plage de départ. Mais la natation artistique n'est pas un sport de hasard et dépend avant tout de la performance de chaque nageuse. D'où le sentiment de la championne sur les pratiques superstitieuses : « J'ai un peu de mal à concevoir cela. Ça doit en tout cas rester dans une certaine limite. Nos chorégraphies sont parfaitement millimétrées et laissent peu de place à l'imprévu. Tout doit être au maximum sous contrôle. Le travail y est donc essentiel. Ça se serait s’il suffisait d'une prière pour atteindre nos objectifs ».

(FFN/Philippe Pongenty).

Mais qu'en est-il du côté des coaches ? Entraîneur depuis une quinzaine d'années, Yoann Exbrayat a notamment pour mission d'encadrer cette saison les treize nageurs du groupe Elite de Lyon Natation Métropole. « En tant que sportif, je n'avais pas de rituel. Je n’étais pas spécialement superstitieux. Cependant, j'attachais de l'importance à bien faire les choses. Pas par crainte de ne pas avoir de chance, mais plutôt pour tenter de mettre toutes les chances de mon côté. La préparation et l'alimentation faisaient partie des bonnes habitudes auxquelles je prêtais attention », explique cet ancien nageur. « C'est finalement lorsque je suis sorti de l'eau pour venir au bord des bassins que je me suis passionné pour la natation. Je suis devenu amoureux de l'apprentissage et de la performance humaine ». Il poursuit : « Je ne crois pas beaucoup à la chance dans le sport. Certes, il y a la contingence de paramètres favorables ou non à la réussite à un moment donné, mais je préfère voir les choses autrement. Je pense que le travail et la préparation limitent la part d’incertitude. Je me plais à paraphraser Jean-Paul Sartre en disant à mes nageurs que « je ne suis pas superstitieux car ça porte malheur ». J’essaye de leur enseigner que plus ils font attention à de petits détails, plus ils travaillent à préparer l’inattendu, plus ils font des efforts, et moins ils s’exposent à la malchance. Je leur dis de se préparer à obtenir ce qu’ils méritent. Ils ne doivent pas avoir de frustrations en fin de compétition et doivent ressortir avec une forme de paix intérieure en ayant le sentiment d’avoir fait le maximum. Pour autant, je ne vais pas contre la pratique de rituels. Je l’encourage lorsqu’un nageur en a besoin. Plus on monte en niveau et plus les aspects mentaux prennent de l’importance. Les rituels sont un vecteur important de confiance. Toutefois, je ne suis pas fan des objets « porte bonheurs » car le jour où ils ne sont plus là, la confiance s’effondre toujours plus ou moins. Tous les sportifs ont, je pense des petits gestes, des petits gri-gris. Certains aiment nager avec LA paire de lunette de compétition, avoir LA couleur de combinaison qui les fait gagner. Je penche pour ma part, pour les démarches qui visent à se sentir en accord avec soi-même. »

« Il est facile de s’isoler de la foule, il est plus dur de s’isoler de ses pensées », insiste le technicien lyonnais. « Dans le contexte de la compétition, l’athlète doit rester détendu et centré sur lui-même, sur son action, sur le moment présent. Pour cela, les gri-gris et rituels peuvent avoir une importance capitale car ils détournent l’attention pour la focaliser sur quelque chose de factuel, sur une action. L’attention est un filtre. Pour éviter d’être focalisé sur une pensée ou une sensation négative, par exemple, il faut orienter le focus sur quelque-chose d’autre, comme une démarche, un rituel. Le fait de porter sur soi une amulette ou un objet n’a que peu d’effet sur cet aspect-là, mis à part le fait de le savoir près de soi ou d’aller le chercher, par exemple. Selon moi, c’est l’action qui compte le plus. Je préfère donc que le nageur porte l’attention sur une démarche. Si l'entraîneur propose un rituel d'avant compétition au nageur, l'enjeu sera de tomber juste, sur quelque chose qui va lui parler et le mettre en confiance. Alors que, dans un premier temps, je lui laisse une large autonomie, il finit souvent par revenir me chercher pour les détails sur lesquels il veut mon approbation pour consolider sa confiance. Je finis par faire partie du rituel, sans l’avoir orienté. C’est souvent, un coup d’œil sur quelque chose, une prise de temps sur une partie de course, un rappel des points essentiels même si le nageur les connaît déjà, ou encore une tape dans la main avant la chambre d’appel. Un athlète a confiance lorsqu’il se sent pris en compte, même lorsque le coach n’est pas d’accord et qu’il lui impose d’essayer quelque chose de différent. C’est un voyage en commun, une aventure partagée ».

Laurent Thuilier

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