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Si les disciplines de repères, de répétition et de synchronisation comme la natation artistique souffrent du confinement, les entraîneurs des Françaises à l'INSEP se sont organisées pour préserver, voire renforcer, la dynamique de groupe.

Laure, comment abordes-tu le confinement sur le plan personnel ?

Je ne suis pas à plaindre car je suis confinée chez moi avec mon mari et ma fille. Hugues travaille habituellement avec l'équipe chinoise d'escrime, il est rentré à la maison en avançant un peu ses vacances – il était en compétition en Europe depuis décembre –, et la situation est du coup plutôt agréable puisque, habituellement, nous ne nous voyons pas souvent. Même si je n'habite pas de maison avec un jardin, j'ai la chance d'avoir un appartement assez grand, avec une terrasse, donc c'est assez confortable. Nous ne sommes pas les uns sur les autres et on peut prendre l'air...

Comment gardes-tu le contact avec les nageuses ?

Avec Julie (Fabre, l'autre entraîneur de l'équipe de France à l'INSEP), nous nous sommes organisées assez vite. On ne va pas dire qu'on passe nos journées au téléphone ou en vidéo, mais en tout cas plusieurs fois par jour. Nous avons mis en place un planning comme si la situation était normale. Nous avons sollicité Cyril (Vieu), le préparateur physique, lui avons commandé des séances qui se sont très bien goupillées avec la commande fédérale qui a suivi, et les filles ont leurs séances de PPG journalières – une ou deux par jour – avec en outre des spécificités pour la synchro, notamment des créneaux de souplesse, pour ne pas trop couper avec notre activité habituelle. Avec Julie, nous souhaitons voir les filles deux fois par semaine en visio. On se réunit, toutes ensemble. Ça, c'est super. Cette semaine, nous nous sommes vues lundi et mardi, avec l'annonce du report des Jeux. Nous ne voulions pas laisser les filles sans se voir ni se parler. Et elles ont aussi des choses à faire en commun. Autant les PPG peuvent se faire chacune de son côté – même si hier il y en a eu une en visio avec Cyril, toutes ensemble –, autant elles essaient de faire les séances de souplesse ensemble en visio car elles se motivent les unes les autres. Elles ne perdent pas le lien, et on essaie de le maintenir, entre elles d'une part, entre elles et nous d'autre part. On se lance de petits défis artistiques : chaque jour, l'une d'entre nous diffuse quelque chose qui lui plaît.

(FFN/Philippe Pongenty)

Sont-elles toutes disséminées ?

Oui, sauf les sœurs ! Nous avons trois paires de sœurs dans le collectif : Charlotte et Laura Tremble, Inesse et Mayssa Guermoud, Daria et Nastia Bayandina.

Tout cela est plutôt positif...

Oui, et pour casser la routine, nous avons décidé de fonctionner différemment cette semaine. Nous allons inclure de nouveaux éléments, organiser le tout différemment, et nous ne sommes pas exclusivement entre nous : ce soir (jeudi 26 mars), le chorégraphe Stéphane Miermont, qui a travaillé avec les filles pendant l'année, propose une séance en visio pour leur montrer d'autres nations avec lesquelles il collabore. Ça, c'est ce qui est organisé et cadré. Après, il y a tout ce qui est informel (elle sourit)... On ne s'interdit pas de s'appeler, de s'envoyer des blagues et des choses qui nous font rire. Comme on est à la maison, certaines tombent sur des dossiers ou de vieilles photos. Il y a une vie dans le collectif que l'on essaie de maintenir malgré les distances et l'éloignement.

(FFN/Philippe Pongenty)

De telle sorte que l'ambiance reste bonne...

Oui, c'est ça ! Après l'Open de France, nous nous sommes entraînées pendant une petite semaine, et le vendredi nous nous doutions bien que l'INSEP risquait de fermer. Moi, avec mon mari, je voyais ce qui avait été mis en place en Chine. Nous avons renvoyé les filles directement chez elles. Avec Julie, nous nous étions préparées dans l'optique de préserver la santé, de faire attention. Nous essayons de tirer du positif de la situation. C'est comme pour le report des Jeux. Et nous faisons en sorte, s'il y a une source de stress ou d'angoisse, d'en parler, de la canaliser. S'il y a besoin d'approfondir, on a le temps. Oui, la situation est malgré tout anxiogène, mais moins depuis le report. Jusque-là, plein se disaient : « Aïe aïe aïe, on n'est pas dans l'eau, on sait qu'on va perdre, comment on va aller chercher une place à notre tournoi de qualification si on ne nage pas pendant deux mois ? » C'est le genre de sujets que nous avons abordés.

Qu'est-ce qu'une nageuse perd le plus quand elle n'est pas dans son environnement d'entraînement habituel ?

En premier, bien sûr, la sensation dans l'élément liquide. On va se retrouver face à des choses très classiques : elles vont retourner dans l'eau et avoir très vite les mains fripées – ce qu'elles n'ont plus quand elles y passent 8 h par jour. La particularité de notre sport, c'est aussi l'endurance avec la tête en bas. On le voit après une période de vacances : il faut retrouver tous ses repères, par exemple pour tourner vite sous l'eau. Ça prend du temps, mais nous mettons des choses en place. Les filles font de la visualisation. C'est hors de l'eau, certes, mais on essaie de leur trouver des outils qui leur permettent de perdre le moins possible, de façon à ce que, quand elles reprennent l'entraînement, tout ne soit pas étranger. De même, elles ont un travail d'apnée à faire, mais on sait très bien que ce ne sera pas suffisant si le confinement dure. On reprendra comme si c'était une reprise accélérée. Ce qu'on va gagner, je pense, c'est que les filles auront très envie de se retrouver et de faire de super choses ensemble. L'esprit du collectif sera très fort pour nous porter, je n'ai aucun doute là-dessus.

(FFN/Philippe Pongenty)

Quelles sont les conséquences du report des grandes compétitions comme les Jeux ?

Je me doutais bien d'un report. Du point de vue de la santé publique, comme tous les pays seront touchés à une échelle que l'on ne connaît pas encore, le maintien était inenvisageable. La décision est logique et respectueuse du travail des athlètes de haut niveau. Ça me rassure que l'on considère qu'une performance se fabrique tous les jours. Et en fonction des pays, la coupure sera différente. Les préparations étaient en danger, à l'encontre de beaux Jeux olympiques. Tous les systèmes de qualification n'étaient pas clôturés. Impossible d'aller chercher sa qualification un mois après s'être arrêté deux mois. Donc je suis assez soulagée de ce report. N'ayant pas de date précise, avec Julie, nous avons élaboré plusieurs plans. Nous avons envisagé un report pour l'automne 2020, un report un an après, et même un report deux ans après. À présent, nous partons sur l'été 2021, et si c'est avancé, nous retravaillerons. On sait ce dont on a besoin pour se préparer pour les Jeux. Une fois que la date sera posée, nous reprendrons le fil selon un rétro planning. Nous avons une capacité d'adaptation et de régulation. Ce n'est pas une source d'angoisse, au contraire : ça laisse plus de temps pour préparer une grosse échéance. Nous aurions été prêtes cette année, mais ça laisse un an de plus. C'est bien ! Il y a des choses sur lesquelles nous hésitions ; on ne va plus hésiter parce que nous aurons le temps de les faire. Ce qui pose davantage de questions, c'est l'étalement des études des filles. Tout était programmé depuis quatre ans. Ça change tout, et c'est cela qui va être assez compliqué à gérer.

À l'heure où nous parlons, personne n'a évoqué l'idée de ne pas aller jusqu'en 2021 ?

Non, ce qui laisse espérer que nous maintenions le même collectif pour préparer 2021. Et c'est le plus logique : aller au bout d'un projet ensemble ! Mais attention, nous avons évoqué cela hier, à chaud, et toutes ensemble. Je ne suis pas certaine que ce soit un moment favorable à une telle prise de décision. Après, je pourrais comprendre qu'en fonction de l'âge ou d'une organisation d'études beaucoup trop complexe, un autre choix que poursuivre soit fait. Mais nous avons bien construit le projet pour que le collectif – le staff et les nageuses – aille au bout ensemble. Pour moi, c'est une bonne chose que nous puissions aller plus loin : nous allons encore mûrir ensemble, et forcément, nous serons plus fortes.

Recueilli par David Lortholary

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