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Après une première alerte à Budapest lors des championnats d’Europe 2021, Yohann Ndoye Brouard, 21 ans, s’est de nouveau heurté à ses problèmes oculaires à Tokyo, disqualifié des demi-finales du 100 m dos des Jeux olympiques après avoir pris le mur à cause d’une déformation de la cornée. Alors à l’heure de retourner à Budapest, cette fois pour les Mondiaux, a-t-il réglé ses problèmes de vue ? De quelle manière cette désillusion l’a endurci en vue de Paris 2024 ? Entretien avec un jeune homme serein et qui avance avec confiance vers ses objectifs.

Etiez-vous conscient de votre déformation de la cornée avant l’incident de Tokyo ?

Oui, j’en étais conscient, mais je n’avais pas encore fait les démarches pour régler le problème. En fait, cela a commencé lors du premier confinement en mars 2020, quand je me suis rendu compte que ma vue baissait… Je voyais moins bien. Le soir, au volant, j’étais ébloui par les feux des voitures, également quand il fallait lire des textes de loin, en regardant la télé… mais dans l’eau, non.

Un peu moins d’un an après, il vous reste quoi de ce moment ?

Ma disqualification, l’incident, je ne pensais pas que cela allait m’arriver… J’avais déjà eu 2-3 problèmes, où je n’avais pas vu le mur à la fin, mais sans être disqualifié. A Budapest, sur le 50 m dos (championnats d’Europe 2021), j’avais touché avec la tête au lieu de toucher avec le bras.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Cela ne vous a pas alerté en vue des Jeux ?

Si, j’étais un peu plus alerte justement (entre Budapest et Tokyo se sont disputés les championnats de France de Chartres du 15 au 20 juin 2021, ndlr), et cela s’était bien passé.

Donc, vous arriviez confiant au Japon ?

Je me sentais très bien, en forme… A la base, physiquement, cela me coûte de partir vite, et là, à Tokyo, pas du tout. J’étais parti pour sortir une grosse performance. Au passage des drapeaux, à cinq mètres du mur, normalement, j’ai trois coups de bras à faire, mais comme je ne l’ai pas vu, j’ai cogné avec la tête. Sur le moment, je me suis dit : « Pas grave, tu te qualifies quand même en finale, repars à fond ! Tu as le niveau ! ». Jusqu’au moment où j’ai touché le mur à la fin, j’y croyais, mais je me suis menti. Sur 100 m dos, mon record est de 52’’77, et à cause de cet incident, j’ai fini dernier en 54’’80. Au moment où je touche, je vois le temps de « qualif » (53’’21) pour aller en finale et je repense alors à mon temps des séries sans me mettre à fond le matin (53’’10). La finale était vraiment abordable.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Quand vous vous cognez contre le mur, vous réagissez comment ?

Au début, je n’ai pas compris, pas fait le lien avec mes problèmes oculaires. Dans la foulée, j’avais envie de m’excuser pour la famille et tous ceux qui s’étaient levés à 4 heures du matin. Très déçu, je pensais vraiment à eux car l’objectif était d’aller en finale. Après coup, après ma demi-finale le matin, je suis allé m’entraîner en fin de journée et là, en répétant les virages, j’ai enfin compris, me rendant compte que j’allais me cogner. Je loupais les drapeaux. Quand on travaille les virages, on se met à dix mètres du mur et on doit faire 7-8 coups de bras. A chaque fois, je me rendais compte que je ne voyais pas les drapeaux. En fait, j’ai vraiment été malchanceux. Si cela m’était arrivé à ce point avant Tokyo, j’aurais réglé le problème.

A Tokyo, la lumière était-elle plus éblouissante ?

Elle était très éclairante pour la télé notamment, comme sur les plateaux TV, où il y a des dizaines de spots. Mais c’est le même éclairage pour tout le monde. L’idée, c’est d’avoir plus de lumière afin d’avoir les plus belles images.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Derrière, vous avez en plus commencé à être chahuté, moqué sur les réseaux sociaux…

Dans l’après-midi, au Japon (matin en France), ça a commencé à arriver avec le décalage horaire. Pas sur mes réseaux personnels, où je n’avais que des messages de soutien, mais sur Twitter où des gens me citaient ou sur les commentaires d’articles parlant de moi. J’ai essayé de passer outre. Ceux qui critiquent ne connaissent pas le sport et cela m’atteint moins. Mais bon quand tu as 600 commentaires sur un article…

J’en déduis que cela vous a forcément affecté.

Cela a duré plusieurs jours et j’ai attendu que la série et la demie du 200 m dos pour m’expliquer sur France 2. Après mon interview, j’ai encore reçu plein de messages de soutien. En soi, les « haters », je ne leur en veux pas tant que ça. Ils n’ont pas compris. Quand on est devant sa télévision, que l’on a été trois fois à la piscine dans sa vie, on ne comprend pas comment cela peut arriver à un sportif de haut niveau.

Et aujourd’hui, cela ne vous arrivera plus ? Et en quoi a consisté l’opération au laser de septembre dernier ?

Elle vise à stabiliser cette déformation qui ne faisait qu’augmenter. Ce n’est pas de naissance, mais à cause de mon allergie (acariens, pollen), je me gratte les yeux. A force, ça a déformé ma cornée. Ils appellent ça un kératocône évolutif… Et cela a empiré avec le temps. J’allais voir de moins en moins bien. L’opération a arrêté ma déformation, alors que d’habitude, je change de lunettes pour la vie de tous les jours tous les six mois.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Allez-vous pouvoir récupérer ce que vous avez perdu ?

Là, cela passe par une nouvelle opération et je n’ai pas encore pris de décision, car c’est une opération très intrusive pour l’œil. Ce serait compliqué sportivement car il faudrait que je m’arrête un mois et demi à deux ans des Jeux de Paris.

J’ai également appris que vous aviez désormais plusieurs paires de lunettes adaptées pour la compétition.

Oui et je change leur teinte selon l’éclairage de la piscine, en extérieur ou intérieur. J’ai une paire transparente, une autre dorée, une teintée noire et une dernière très teintée quasi noire en cas de grand soleil.

Et aux Mondiaux de Budapest, vous allez repenser à Tokyo, avoir de l’appréhension ?

Non, je n’en ai plus ! Mais après, ce type d’incident peut toujours m’arriver de nouveau. Je vais prendre le plus de repaires possible dans la piscine, et puis si je jeux être à 100% performant, je ne peux pas avoir d’appréhension. Vous savez, ce qui m’est arrivé aux Jeux n’est pas tabou. Je n’ai aucun mal à en parler. Cela fait partie de ma vie, de mon histoire et n’ai pas besoin de coach mental ni de psy. Après, pour m’aider, j’ai acheté une corde d’escalade de soixante mètres que j’ai essayé de tendre au-dessus de la ligne en extérieur pour avoir plus de repaires afin de nager tout droit.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Paris 2024, cela trotte déjà dans un coin de la tête ? Vous êtes programmé pour aller chercher une médaille dans deux ans.

Ah oui, après ma disqualification de Tokyo, ce serait une belle histoire d’aller chercher la médaille. Au Japon, j’ai été disqualifié car je suis reparti sur le ventre après avoir tapé dans le mur. Désormais, je m’entraîne le mieux possible avec cet objectif en tête. Mais bon, je ne rêve pas de médaille la nuit non plus. La médaille aux Jeux, ce n’est pas l’objectif de ma vie, mais plus d’avoir un accomplissement personnel. Je ne m’en voudrais pas toute ma vie si je repartais de Paris sans médaille. Mais je m’entraîne au quotidien avec cet objectif en ligne de mire, c’est sûr !

En or ?

Le titre serait magnifique. Mais pour rester objectif, je n’ai aujourd’hui pas le niveau pour être champion olympique. En revanche, je me rapproche de plus en plus du niveau pour aller chercher une médaille dans deux ans.

Propos recueillis par Antoine Grynbaum

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