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Entraîneur de l'équipe de France de natation artistique à l'INSEP, Julie Fabre tire, avec son groupe, le meilleur parti de la situation de confinement : travail des bases, modules techniques et artistiques, autonomie, meilleure connaissance de l'autre, bienfaits du changement de rythme... et du report des Jeux !

Julie, comment se passe ce confinement sur le plan personnel ?

Je suis à Paris, dans un petit appartement. Je n'ai pas d'extérieur, mais je suis quelqu'un d'optimiste, donc ça se passe bien. Je pense qu'il y a bien pire que ma situation !

Est-ce une situation propice à une forme de remise en question ?

Complètement ! Les premiers jours, même si nous nous attendions à ce que cela arrive, nous avons été pris par l'envie de très bien faire. De produire tout de suite des choses pour les filles, pour les occuper, les rassurer... de mettre immédiatement en place quelque chose. Après quelques jours, on a commencé à prendre le temps, un peu plus de recul sur la situation. On s'est dit : « OK, c'est bien, on a agi dans l'urgence, on a mis en place de la préparation physique, de la souplesse, on les voit en visio régulièrement... ». Les bases. Mais nous nous sommes assez vite rendu compte qu'il manquait des choses en lien avec la particularité de notre discipline. Une discipline de mouvements, d'amplitude dans l'espace, de conscience corporelle et artistique. Nous nous sommes demandé comment investir ce champ dans la situation actuelle. Eh bien, on trouve des solutions et, en ce sens, c'est une expérience intéressante même si l'épidémie est évidemment dramatique et qu'on s'en serait bien passé.

(FFN/Philippe Pongenty)

Qu'avez-vous donc mis en place ?

Il fallait trouver de la mobilité corporelle. Nous avons donc relancé le yoga, avec notre intervenante Armelle Cornillon. Nous avons réactivé tous nos intervenants, toutes nos ressources humaines, afin de mener une réflexion commune pour cocher le maximum de cases importantes pour nos athlètes et notre discipline. Les semaines suivent un tronc commun pour toutes – préparation physique, yoga, souplesse – et des thématiques hebdomadaires. Cette semaine, c'était la musique. Notre musicien, Jean-Michel Collet, a préparé un petit exercice. En natation artistique, dans 99% des cas, les musiques se comptent en huit temps. Il a créé quinze petites partitions, où l'on doit par exemple produire un son tous les deux temps, taper dans les mains sur le 1-2 puis le 5-6... Nous nous sommes réparti les tâches et nous devons toutes enregistrer ces partitions avec notre téléphone pour essayer d'aboutir à une musique. Nous avons aussi fait un blind test sur toutes les musiques utilisées par l'équipe de France depuis 1994, ce qui nous a emmené dans la découverte, la culture musicale, l'histoire de notre équipe de France. C'est un bon moyen d'échanger. Une prochaine semaine, la thématique sera l'acrobatie. Nous réfléchissons, avec notre prof d'acro Jean-Luc Voyeux, sur le contenu : un blind test sur les portés, des vidéos sur l'acrosport, qui est son domaine, pour éveiller les filles et leur donner des idées sur de nouvelles prises, de nouvelles façons de porter... une autre semaine, notre préparateur mental prendra la main, pour des activités intensives de team building. Nous pensons aussi à solliciter nos juges internationaux pour bien expliquer aux filles les critères de jugement, les règlements... Le tout pour entretenir de la diversité et créer un peu de surprise. On sait que cela va être long. Il faut tenir.

Les anciennes de l'équipe de France peuvent-elles aussi apporter leur contribution ?

Oui, par exemple, aujourd'hui (jeudi 2 avril) nous avons organisé une visio avec Virginie Dedieu sur un partage d'expérience. Elle est revenue sur des moments de sa carrière. C'est quand même quelqu'un qui a stoppé sa carrière et repris plusieurs fois ; elle a donc tracé un parallèle sur la reprise après confinement, comment elle avait vécu ses retours, qu'est-ce qui avait été le plus difficile, qu'est-ce qui revenait le plus vite... c'était très intéressant et nous allons essayer de mettre en place de tels partages d'expérience toutes les semaines, avec des athlètes de notre univers comme d'autres venus d'ailleurs. C'est quelque chose que nous faisions déjà avant le confinement : nous avons un invité par mois. Sara Labrousse, notre duettiste à Londres 2012, nous fera aussi partager son expérience, comme Apolline Dreyfuss. Benoît Beaufils, partenaire de Virginie en duo mixte en 2015, artiste du Cirque du Soleil, prépare quant à lui un petit circuit training un peu fun. Lila Meeseman-Bakir, qui était dans le duo pour l'équipe de France à Pékin en 2008 avec Apolline, va proposer une séance de power yoga. Lugdivine Meytre, ancienne nageuse synchro de l'équipe de France junior, prof de Pilates, va également proposer une séance de découverte dans la semaine. Stéphane Miermont, notre intervenant chorégraphe, qui vient nous aider une cinquantaine de jours par an, a mis en place une visio souplesse hebdomadaire avec toutes les équipes qu'il suit – Italie, République tchèque, France... Tout cela offre une autre perspective. De temps, de partage, qui changent de notre quotidien habituel, où l'on est pressurisé. On se rend compte que certains champs mériteraient d'être exploités davantage. Par exemple, nous avons lancé un relais artistique. Tous les jours, l'une de nous doit proposer quelque chose d'artistique aux autres. C'est moi qui ai commencé en leur faisant découvrir la chorégraphie de Béjart sur le boléro de Ravel. On échange dessus. On s'écrit ce qu'on en a pensé et retenu. Nous avons commencé le lundi, au début du confinement et, en prenant le temps de se faire découvrir des trucs, on est surpris, parfois, de ce que certaines peuvent proposer. Cela accentue la connaissance que nous avons les uns des autres.

(FFN/Philippe Pongenty)

Avec un apport intéressant des réseaux sociaux...

C'est vrai : l'activité qui s'y développe est assez intéressante, avec des artistes qui proposent beaucoup de « live ». J'ai interpellé des danseurs pour voir si cela les intéresserait de profiter de ce confinement pour travailler avec nous, pour nous apprendre de nouvelles façons de bouger. Comme nous, les artistes et les personnalités sont coincés chez eux (elle rit)…

Parvenez-vous à maintenir une ambiance positive avec les filles ?

Il y a eu un coup de mou au moment de l'annonce du report des Jeux. Le sentiment est partagé, nous avons à peu près toutes ressenti la même chose : à la fois, on se dit « punaise, il faut refaire une année olympique », mais il y a aussi le soulagement de savoir ce qu'il en est, et donc de pouvoir se projeter. Cette saison, nous étions parties sur une année « blanche » pour les études, mais là, du coup, nous avons tout réactivé pour que les filles puissent valider des matières pendant le confinement. Deux de nos nageuses seniors, Ambre Esnault et Mayssa Guermoud, étaient censées passer leur bac l'an prochain, elles ont réactivé des cours pour rattraper leur retard et passent leur bac en septembre. Globalement, les filles sont courageuses. Elles ne lâchent pas l'affaire. Et il y a encore des questions : on ne connaît pas la date des championnats du monde, qui étaient censés avoir lieu l'an prochain. Les qualifications olympiques, même chose. Les championnats d'Europe sont en prévision peut-être fin août, peut-être en fin d'année, peut-être au printemps prochain... pour plein d'éléments, on ne sait pas. Il faut s'adapter. Dans notre façon de manager au quotidien, nous avons toujours cherché à développer l'autonomie des nageuses, leurs facultés d'adaptation. On se rend compte que nous n'avons pas si mal travaillé au fil des années. Et nous restons sur un discours optimiste, le verre à moitié plein : les Jeux sont toujours là. L'objectif toujours présent. Le projet est toujours d'avancer chaque jour ensemble. Et on relativise, on se dit que cette épidémie est terrible, touche le monde, trois milliards de personnes sont confinées en même temps – ce qui sera dans les livres d'histoire, plus tard. Il faut donc se recentrer sur l'essentiel : en vie, en bonne santé, un toit au-dessus de la tête, une famille...

(FFN/Philippe Pongenty)

Quelles autres personnes sont importantes dans ce contexte ?

Notre nutritionniste. C'est important (elle rit)… Et Magali Rathier, responsable du pôle à l'INSEP, nous aide à remettre en route la gestion des études, rassure les athlètes... Il y a, dans notre discipline, une belle solidarité. De la générosité. Chacun, à son niveau, fait en sorte que cela tienne.

Revenons sur l'annonce principale de ces dernières semaines en ce qui concerne la performance : qu'implique le report des Jeux ?

Pour moi, c'est clair : je le vois comme une opportunité de faire mieux encore. Notamment d'un point de vue chorégraphique. Nous avons présenté cette année une nouvelle chorégraphie d'équipe libre. Or, une chorégraphie, c'est quelque chose de longue haleine. On arrive rarement du premier coup à trouver la version la plus performante. Là, nous sortons de l'Open de France, notre première... et dernière compétition de la saison, avec une première impression, plutôt positive, mais c'est précisément dans le contexte de la compétition – grâce aux retours extérieurs, grâce au couperet de la compétition, des juges, des notes – que l'on se rend compte des choses, techniquement et chorégraphiquement, qu'il faut améliorer. Et il y en a... La vision que l'on a du ballet en compétition n'est pas du tout la même qu'à l'entraînement, où il n'y a pas les maillots de compétition, pas le maquillage, pas l'état transcendant dans lequel on s'y trouve. À ce stade, en temps normal, on ne va pas commencer à révolutionner le ballet. On priorise en vue des qualifications, un mois et demi plus tard. Mais maintenant, on a beaucoup plus de temps (elle rit)… Cela va nous permettre de faire aboutir ce ballet chorégraphiquement. Nous avons construit beaucoup de choses cette année, complètement transformé nos athlètes. Gardons cela comme une base solide et ajoutons-y les petits points que ce temps en plus nous permet d'ajouter.

(FFN/Philippe Pongenty)

En tirant, donc, du positif de la situation...

On est la tête dans le guidon tout le temps. On a peu de marge de manœuvre et de recul sur les choses. C'est donc l'opportunité pour s'élever un peu. C'est très intéressant, aussi, de voir comment vit le groupe dans la situation. Comment réagissent les athlètes. Cela donne des informations sur ce qu'on leur a bien enseigné et les choses encore fragiles. C'est une photo de ce qu'est l'équipe aujourd'hui en termes de valeurs, de motivation, d'autonomie.

Observez-vous également ce que font les autres nations ?

Oui ! Mais personne ne se cache. Nous partageons notamment des sessions avec les Italiennes. C'est l'occasion d'échanger. Je trouve que tout le monde communique beaucoup. Avec le temps, à mon avis, des connexions vont se mettre en place. Il est intéressant de voir comment réagissent les autres équipes, justement : celles qui sont vraiment tournées sur elles-mêmes, qui ne tendent pas la main, et celles qui, au contraire, sont plus dans une logique d'ouverture. Cela donne beaucoup d'informations sur la façon de travailler des autres.

Recueilli par David Lortholary

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