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Tombé très jeune dans l’entraînement comme d’autres dans la potion magique, Jacky Pellerin est toujours fidèle au poste. Mais c’est en Islande que l'ancien mentor de Franck Esposito a officié de 2007 jusqu'à cet été, date à laquelle le Normand de naissance a accepté le poste de Directeur Technique National des Iles Caïmans. Rencontre avec un coach aussi passionné qu’aventureux.

Vous n’avez pas 30 ans lorsque Franck Esposito décroche le bronze du 200 m papillon aux Jeux de Barcelone. Ce n’est alors pas courant de voir un entraîneur aussi jeune connaître une telle réussite.

Il faut dire que malgré mon jeune âge, j’avais déjà une certaine expérience. J’étais encore nageur à Flers (Orne) quand mon entraîneur (Jacky Calzi) m’a transmis la passion de l’entraînement. A 18 ans, j’ai quitté ma Normandie natale pour suivre une formation dirigée par Jacques Trouquet à Port-Camargue (Gard) qui m’a permis d’obtenir mon diplôme de maître-nageur et le Brevet d’Etat 1er degré. L’année suivante, j’entraînais à Narbonne. Après mon service militaire en 1982, je suis arrivé dans la région de Toulon, où mon ex-femme venait d’être nommée. J’avais 20 ans. Je n’étais pas encore sûr de vouloir faire de la natation mon métier, mais j’avais besoin de travailler. Je suis entré en contact avec le club des Cachalots Six-Fours qui cherchait un jeune entraîneur pour assister Robert Januzzi et ils m’ont choisi.

C’est comme ça que vous avez rencontré Franck Esposito.

Franck était dans le groupe de Robert Januzzi qui l’avait d’ailleurs amené aux championnats de France, mais en dos ! Ce n’est que lorsque je deviens coach principal en 1988 que « Titou » - c’est comme ça qu’on le surnommait à l’époque et que je l’appelle d’ailleurs encore aujourd’hui - va se mettre au papillon. J’ai vu très vite qu’il avait les qualités aquatiques et physiques nécessaires pour cette nage. Il était très souple au niveau des épaules, ce qui facilitait son passage de bras. Il avait aussi une synchronisation épaules-bassin exceptionnelle. D’ailleurs, dès les vacances de Pâques 1988, il profite d’une compétition à Bastia, où nous étions en stage, pour battre la meilleure performance française 17 ans sur 100 m papillon (58’’47).

Humainement, ça « matche » tout de suite avec Franck ?

Même s’il préférait jouer au foot ou faire du smurf, même si l’ai viré plusieurs fois du bassin parce qu’il arrivait en retard ou qu’il n’était pas sérieux, c’est vrai que nous avons rapidement accroché. En même temps, c’était un jeune homme très attachant. Je suis d’ailleurs allé plus d’une fois le chercher chez lui en moto parce que ses parents travaillaient et ne pouvaient pas l’amener à l’entraînement. Surtout, c’était un bosseur avec des capacités et des habiletés motrices hors normes. Il fallait le voir jongler avec une balle de tennis !

JAcky Pellerin en compagnie de Franck Esposito (Photo : D. R.).

Vous comprenez dont très vite que vous tenez une perle rare, mais est-ce que vous savez tout de suite comment vous y prendre ?

Une chose est certaine, quand Franck me dit en 1988 qu’il veut aller aux Jeux de Barcelone parce qu’il l’a promis à sa grand-mère, je lui réponds : « Banco ! ». En revanche, je dois admettre que je ne savais pas trop comment m’y prendre. Comme tout jeune entraîneur, je regardais ce qui se faisait à droite et à gauche, mais rien ne correspondait à la mentalité de Franck. En fait, nous sommes partis dans le défi mutuel. Franck aimait s’amuser et relever des challenges !

Avez-vous un exemple ?

Des tas ! Mais on jouait lourd ! En 1989, je me souviens qu’en stage à Brive-la-Gaillarde, je balance un 30x50 m papillon. Franck me dit qu’il est mort et qu’il ne va pas y arriver. Moi, qu’est-ce que je fais pour la motiver ? Je lui dis que j’avais collé sur le plot à l’autre bout du bassin la photo de Christophe Bordeau (le grand rival d’Esposito à l’époque sur 200 m papillon, ndlr) et qu’il se marrait en le regardant se plaindre. Aussi sec, Franck a mis ses lunettes et a fait la série à fond. Je me suis dit celui-là, il sera champion de France. Et ça n’a pas manqué ! Une autre anecdote : aux interclubs de 1992, sur le 4x200 m nage libre messieurs, je fais partir Franck en premier relayeur en papillon et il bat le record de France du 200 m papillon ! Tout le monde était fou dans la piscine parce qu’on ne pouvait pas homologuer ce record. Moi, je dis : « Ne vous inquiétez pas, c’est juste pour savoir où il en est avant la coupe du monde à Paris ». Du coup, je savais où il en était (sourire)... Je l’ai mis au repos. On a fait un petit affûtage et à la coupe du monde, il bat le record du monde en 1’54’’67. C’était son premier record du monde.

Les Jeux de Barcelone, ça représente quoi pour vous ? Un accomplissement ?

Oui, mais on avait vu un peu arriver sa performance. L’été d’avant, il y avait eu les championnats d’Europe à Athènes, où Franck avait remporté son premier titre européen, puis la coupe du monde de Paris où il bat son premier record du monde (1’54’’67). Une sorte de montée en puissance qui nous avait mis l’eau à la bouche. Mais oui, évidemment, à Barcelone, j’étais sur un nuage. Je me souviens de Monsieur Guizien qui multipliait les approches pour que Franck le rejoigne à Antibes. A la fin de la course, il vient me voir et me demande mon âge. Je lui réponds : « 29 ans ». Là, il me dit : « Eh bien, moi, ça fait 29 ans que j’entraîne et je n’ai jamais eu de médaillé olympique ! » Je me souviens aussi de Michel Pedroletti avant le relais 4x200 qui me tape sur l’épaule en arrivant à la réunion en me disant : « Bienvenue au club » (Pedroletti avait été l’entraîneur de Frédéric Delcourt et Catherine Poirot, médaillés aux JO de Los Angeles en 1984, ndlr).

Malgré tout, vous avez des regrets sur cette course ?

Un petit peu ! En finale, Franck est, en effet, tombé dans la ligne d’eau où il y avait la caméra travelling et il a été perturbé par les accélérations soudaines et les ralentissements. Du coup, il fait une course bizarre. Il tourne deuxième aux 100 mètres, puis cinquième aux 150 mètres avant de remonter. En plus, on était allé se frotter à Melvin Stewart (le champion olympique) pour l’US Open à Minneapolis pendant l’hiver 1991-92 et Franck l’avait tordu. Mais bon, c’est comme ça ! Stewart a été meilleur ce jour-là. C’est bête parce que Franck était d’une constance phénoménale. Je pense que si ça existait, il aurait le record du monde du nageur qui a nagé le plus souvent sous les deux minutes sur 100 m papillon sur les douze ans de sa carrière.

Après Barcelone, Franck quitte Six-Fours pour Antibes et vous rejoignez Canet. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Ne pouviez-vous pas rester à Six-Fours sans Franck ?

D’un côté, j’avais peur qu’à Six-Fours tout retombe d’un coup. Je savais aussi que Canet m’ouvrait d’autres horizons. J’ai d’ailleurs rencontré beaucoup de coaches pendant les dix ans où je suis resté là-bas. J’ai eu aussi la chance d’entraîner Frédérick Bousquet et Anne-Sophie Le Paranthoën.

Franck Esposito (Photo : Agence Vandystadt).

Vous décidez néanmoins de quitter Canet en 2001. Pourquoi ?

Je me suis dit qu’il est temps d’ouvrir les yeux sur le monde. Je prends alors deux années sabbatiques pour retourner à l’université faire une licence en informatique et un master en management. Ça m’a permis de me réajuster au niveau des savoirs et de la motivation. Je me suis rendu compte que ce que je savais faire, c’était la natation et que je n’avais pas envie de passer mes journées assis derrière un écran à « pisser » des lignes de code. Ce break me permet aussi de créer avec Casimir Klimek (1) le GNEN (Groupement National des Entraîneurs de Natation) dont une des premières réalisations avait été de travailler sur la convention collective du métier d’entraîneur. A cette époque, les techniciens qui n’étaient pas entraîneurs fédéraux étaient employés comme maîtres-nageurs ou sous la convention des animateurs socio-culturels. Le métier d’entraîneur professionnel n’existait pas.

Et vous revenez finalement à la natation.

D’abord à Troyes, pendant deux ans, puis au Stade Toulousain Water-Polo.

Aucun club de renom ne vous sollicite ?

Je n’ai jamais été bon pour me vendre. J’ai commencé aussi à m’interroger sur le fait de partir à l’étranger. J’avais aussi l’impression de ne pas rentrer dans le cadre et de déranger un peu.

Regrettez-vous ce manque de reconnaissance ?

Mes satisfactions sont ailleurs. Il y a deux ans, je marchais dans la rue à Perpignan quand un homme m’a interpellé et a traversé la rue avec sa famille. Il m’a dit : « Bonjour, je suis Frédéric. Tu ne te souviens pas de moi ? Je nageais avec toi à Canet. Je voulais juste présenter à ma famille l’entraîneur dont je leur ai souvent parlé ». Une nageuse m’a également confié un jour : « J’étais une brêle dans l’eau, mais tous les matins tu me faisais croire que j’étais une princesse ». Ma reconnaissance, elle est là !

Finalement, vous finissez par partir en Islande. Une destination pour le moins étonnante. Comment cette opportunité s’est-elle présentée ?

Quand j’entraînais le water-polo à Toulouse, j’avais décidé de faire les interclubs de natation, comme ça, pour voir. Finalement, je me suis pris au jeu et j’amène quelques nageurs aux championnats de France à Saint-Raphaël dont un sprinter anglais, Charles Turner. C’est là que Patrick Deléaval me dit qu’il venait de recevoir une demande d’un club islandais en quête d’un entraîneur français. Il a envoyé mon CV et le lundi d’après j’ai un coup de fil du président de l’AEGIR de Reykjavik. En août 2007, je vais voir sur place. Ça me plait et je signe un CDI en septembre. Au fond de moi, je m’étais donné deux ans pour enrichir mon expérience. Ça fait quatorze ans que j’y suis (sourire)

C’est alors une nouvelle carrière qui commence.

Je me rends compte que dans mon club, j’ai 80% de l’équipe nationale et c’est parti ! Pour les Jeux de 2008, la Fédération islandaise me demande d’être entraîneur de la sélection. Après les Jeux de Pékin, je signe un contrat avec la fédération, en plus de mon club, comme DTN et entraîneur national de 2009 à 2019.

Jacky Pellerin sous les couleurs islandaises (Photo : D. R.).

On considère souvent les nageurs islandais comme des spécialistes de petit bassin. Est-ce qu’il y a une raison à cela ?

On n’a pas beaucoup de grand bassin en Islande. En revanche, des bassins de 25 mètres, il y en a absolument partout, chauffés grâce à la géothermie. C’est pour cette raison qu’ils sont très bons sur les virages.

La natation est-elle prisée en Islande ?

L’apprentissage de la natation est obligatoire à l’école, mais il n’y a pas de réel engouement pour ce sport. C’est plutôt une nécessité sociale. En Islande, tout le monde va à la piscine, mais pour aller au jacuzzi. Il y en a toujours plusieurs autour du bassin principal et les gens s’assoient là pour discuter. Nager, c’est autre chose ! Les Islandais font 200-300 mètres et ils se considèrent comme des nageurs.

Vous parlez de la place de la natation dans la société islandaise, mais qu’en est-il au niveau des instances dirigeantes ?

Le Comité olympique n’attribue pas de subventions aux fédérations en fonction des résultats aux Jeux olympiques, mais en fonction de ceux obtenus aux Jeux des petits états d’Europe (2). A toutes les éditions auxquelles j’ai participées, l’Islande a raflé à chaque fois entre 60 et 80 médailles dont une quarantaine pour la natation. Mais à la fin de la compétition, jamais personne n’est vu nous voir pour dire merci les nageurs vous avez fait du bon boulot.

(Photo : D. R.)

La Fédération islandaise dispose-t-elle néanmoins de moyens suffisants pour mener des nageurs au plus haut niveau international ?

Quand je suis arrivé, non ! Le budget de la fédération était l’équivalent de celui d’un comité régional en France. Ce sont, par exemple, les nageurs qui paient la totalité du stage préparatoire aux Jeux olympiques. Les choses ont cependant évolué au fil des ans. En 2012, on qualifie un relais (le 4x100 m 4 nages féminin) aux JO de Londres (une première pour la natation islandaise, ndlr). En 2016, nous avons eu deux finalistes ! Et là, ça a été le bingo financièrement, mais les deux nageuses en question (Eygló Gústafsdóttir et Hrafnhildur Lúthersdóttir) ont malheureusement arrêté. Seul Anton Sveinn McKee, qui nage d’ailleurs sur le circuit ISL, a poursuit sa carrière.

D’une certaine manière, on peut dire que la natation islandaise a grandi avec vous.

Disons plutôt que j’ai accompagné une transition, mais j’ai retrouvé ici le même état d’esprit qu’en France à l’époque. Du genre : « Si c’était moi, j’aurais fait comme-ci ou comme ça ». Du coup, je leur ai dit : « Ok, allez-y ! » et j’ai abandonné mes responsabilités à la Fédération en 2019. Depuis deux ans, j’entraîne uniquement en club. Je vais aux réunions techniques de la fédération, mais je laisse la place à ceux qui prétendent savoir mieux faire.

Existe-t-il une vie de club en Islande ?

Oui, même trop ! Plus qu’un club, c’est un clan. Des gamins disent, par exemple : « Mon père ou ma mère ont nagé pour tel club donc je serai nageur pour le même club ». Au point qu’en équipe nationale, je me suis battu pour interdire les teeshirts et les bonnets de club. Ça montre bien combien il est difficile de faire avancer les choses.

Et qu’en est-il de votre attachement pour la natation française ? Suivez-vous les performances des nageurs tricolores ?

Oui, bien sûr !

Comment expliquez-vous la réussite qu’elle a connu à partir des années 2000-2004 jusqu’aux Jeux de Rio en 2016 ?

Elle repose sur les nageurs. Ce sont eux les élément clés. La France a connu une génération exceptionnelle qui était aux bon endroit, au bon moment, dans de bonnes mains.

Mais pourquoi cette génération n’a-t-elle pas éclos avant ?

Le savoir des entraîneurs n’était peut-être pas le même, mais surtout le partage n’était pas ce qu’il aurait dû être. Les entraîneurs ont commencé à échanger beaucoup plus au moment où je suis parti. Il ne faut pas oublier non plus le travail qui a été effectué par les différents DTN qui se sont succédés : Patrice Prokop, Jean-Paul Clémençon et Claude Fauquet. Prokop, par exemple, a ouvert le sérail des entraîneurs nationaux aux entraîneurs de clubs. Ce qui a permis à Stéphane Bardoux ou à moi de nous retrouver dans le staff de l’équipe nationale. Jean-Paul (Clémençon) a continué dans cette voie et Claude (Fauquet) a apporté la touche finale avec la professionnalisation et des règles de qualification plus contraignantes.

(Photo : D. R.)

A l’inverse, comment expliquez-vous que les résultats soient moins bons depuis quelques années ?

Je pense que lorsqu’on s’endort dans la soie, c’est difficile de se réveiller pour aller travailler. Et puis les autres nations ont vu les Français enregistrer de bons résultats. Elles ont regardé ce qu’on faisait et elles s’en sont inspirées. Les Britanniques, par exemple, ont investi des moyens colossaux dans leur natation.

Il y a malgré tout de jeunes nageurs français prometteurs.

Bien sûr ! J’ai suivi les championnats de France (Saint-Raphaël, décembre 2020) et il y a de bons petits jeunes : Yohann Ndoye Brouard, Léon Marchand, les soeurs Delmas… Ceux-là vont en attirer d’autres. Mais il ne faut pas non plus se gargariser. Dans les autres pays ça nage aussi. Les Etats-Unis et l’Australie évidemment, où la natation est culturelle, mais aussi la Russie, le Japon ou l’Afrique du Sud.

Malgré les bons résultats dont on vient de parler, la natation française pâtit d’un certain manque de considération de la part des médias et du public. Comment l’expliquez-vous ?

C’est vrai que même au début des années 2000, quand on pouvait assister à un record du monde aux championnats de France, les médias parlaient plus de la natation pour les scandales des soirées ou pour les frasques des champions que du temps passé dans les piscines à s’entraîner ! Pourquoi ? Je n’en sais rien. En revanche, ce que je sais c’est qu’en France, les instances décisionnaires préfèrent construire des stades de foot que des piscines. Ou alors des piscines ludiques en gestion déléguée. Au Japon, ils ont des piscines immenses avec des milliers de spectateurs. En France, la plus grande doit être celle de Montpellier (3), non ? Je crois aussi qu’il nous manque un événement majeur qui attire les regards vers la natation. Les nageurs, on les a eus et on les aura certainement à nouveau. Les Jeux de 2024 devraient, je l’espère, permettre d’amorcer ce virage.

Pourra-t-on vous revoir entraîner un jour en France ?

Pourquoi pas ! Ou ailleurs dans un autre pays (sourire)

Dans le haut niveau ?

Ou pas ! Ce qui m’importe, c’est l’humain. La performance vient après. Même si un gamin ne touche pas les étoiles, se retrouver avec un entraîneur qui lui les a touchées, ça peut le faire rêver un peu. Et ça, ça me plaît !

Recueilli par Jean-Pierre Chafes

(1) Casimir Klimek a participé à la préparation des nageurs soviétiques avant les JO de Moscou en 1980. Il quitte la Pologne en 1982 quelques jours avant l’instauration de l’état de siège pour le club de Cherbourg, puis passe à Brest en 1984, où il prendra la tête du Pôle de France, avant d’être en charge de l’entraînement du demi-fond français au sein du collectif olympique.

(2) Compétition internationale qui existe depuis 1985 et qui réunit tous les deux ans huit petits pays européens (Andorre, Chypre, Islande, Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Monaco, Saint-Marin) et neuf avec le Monténégro depuis 2009. Le programme comporte au moins huit sports individuels dont la natation et deux sport collectifs.

(3) L’Odyssée à Chartres est considérée à ce jour comme la piscine ayant la plus grande capacité d’accueil de spectateurs (2000).

Retrouvez l'interview de Jacky Pellerin dans le Natation Magazine 207 d'août septembre 2021 !

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