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Cinq mois après les Jeux olympiques de Tokyo, le Directeur technique national Julien Issoulié a accepté de dresser le bilan de ce début de saison 2021-2022. L’occasion d’évoquer la reprise des figures de proue du collectif national, les premières joutes internationales en petit bassin (Euro de Kazan et Mondiaux d’Abu Dhabi), les championnats de France de Montpellier en grand bassin (9-12 décembre), mais aussi les premiers mois du Néerlandais Jacco Verhaeren à la tête des équipes de France et l’organisation du staff tricolore dans la perspective des Jeux parisiens de 2024.

Quel bilan dressez-vous des championnats du monde d’Abu Dhabi en petit bassin (16-21 décembre) ?

A titre personnel, je ne parle jamais de médailles parce qu’à mon sens ce n’est guère représentatif. Moi, ce qui m’intéressait aux Emirats Arabes Unis, c’était de faire le bilan de ce début de saison 2021-2022. Une première séquence qui s’est déroulée dans un contexte post-olympique dans lequel tous les athlètes tricolores avaient des impératifs et des nécessités différentes. Il y a ceux qui ont coupé plusieurs semaines, ceux qui ont changé de club, ceux qui avaient des problèmes de santé à régler. Tout cela a forcément induit une remise en route progressive. Remise en route jalonnée, par ailleurs, de trois compétitions : les championnats d’Europe de Kazan en petit bassin (début novembre 2021), les championnats de France de Montpellier en grand bassin (9-12 décembre) et les Mondiaux d’Abu Dhabi en petit bassin (16-21 décembre). Lors de ces différents rendez-vous, nous avons pu observer les athlètes qui composent le collectif national, ceux avec lesquels il faudra compter tout au long de l’olympiade qui nous mènera aux Jeux de Paris en 2024.

(Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Sans parler également de la restructuration du staff de l’équipe de France ?

Oui, en effet, c’est aussi une donnée importante à prendre en compte en ce début de saison. Jacco (Verhaeren, Directeur des équipes de France depuis septembre 2021, ndlr) a pris ces derniers mois la mesure de notre natation. Avec Denis (Auguin, en charge de la relève, ndlr), il a débuté un tour de France des clubs de natation pour rencontrer les nageurs, les entraîneurs et évaluer l’environnement de notre pratique de haut niveau. A partir de là, nous allons pouvoir bâtir une organisation stable et efficiente sur laquelle nous nous appuierons jusqu’aux Jeux de Paris. Le risque serait de vouloir aller trop vite. Les Jeux se tiendront dans trois ans. Pour les aborder dans des conditions optimales et permettre à notre élite de performer, il importe que nos fondations soient solides.

Le DTN Julien Issoulié en compagnie du Directeur des équipes de France Jacco Verhaeren lors des Euro de Kazan en petit bassin (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Tout au long des Mondiaux d’Abu Dhabi plusieurs nageurs de l’équipe de France, dont Maxime Grousset, Marie Wattel et Charlotte Bonnet, ont exprimé leur plaisir de participer à une épreuve en petit bassin. Comment se fait-il que cet exercice ait disparu des échéances nationales ?

Cela n’a pas disparu ! En décembre 2019, nous avons organisé des championnats de France en petit bassin à Angers, mais ensuite nous avons été pris dans la tourmente de la pandémie de Covid (premier confinement décrété entre mars et mai 2020, ndlr). Sachant que nos échéances (Euro de Budapest, Jeux olympiques de Tokyo, puis Mondiaux de Fukuoka en mai 2022) se disputaient en grand bassin, nous avons privilégié les épreuves en bassin de 50 mètres. Nous n’avons fait que nous adapter au contexte pour permettre à nos meilleurs nageurs de s’exprimer sur la scène internationale le moment venu. A l’avenir, il est fort probable que nous rétablissions des épreuves nationales en petit bassin. D’autant que comme le rappelle Jacco (Verhaeren), le petit bassin permet de progresser sur les parties techniques.

Julien Issoulié aux Mondiaux d’Abu Dhabi (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Et puis, c’est un exercice « fun », comme nous l’ont confié Maxime Grousset et Béryl Gastaldello (médaillée d’argent du 100 m 4 nages) à Abu Dhabi.

Absolument ! On voit bien que les nageurs tricolores se sont « éclatés » aux Emirats Arabes Unis. Les courses sont rapides, les chronos descendent, il y a un côté très spectaculaire qu’il faut entretenir. D’autant que, comme l’indique cette fois Philippe Lucas, c’est aussi une opportunité supplémentaire de nager en compétition, en France ou à l’étranger d’ailleurs. Nos athlètes ont besoin de se confronter aux meilleurs. Il n’y a qu’ainsi qu’ils accèderont aux podiums. J’ajouterais que plus nos nageurs se contraindront à s’exposer et à défier l’élite mondiale, qui plus est dans un contexte pandémique compliqué qui impose des restrictions et des sacrifices, plus ils seront armés au moment des grandes échéances internationales. A mon sens, une semaine à Abu Dhabi dans un environnement très différent et à une période avancée de l’année est beaucoup plus formateur que deux semaines d’entraînement dans le cocon de sa structure. Quand vos habitudes sont chamboulées, lorsqu’il faut faire l’effort de s’adapter, de trouver des solutions à des problèmes ou de nouveaux repères, on apprend sur soi, on démystifie ses adversaires, on sort de sa routine, de ses habitudes et on devient meilleur, en tout cas plus solide et plus confiant. La confrontation permet de s’inscrire dans un cercle vertueux. De mon point de vue, ces championnats du monde en petit bassin nous aident individuellement et collectivement à dresser la liste de nos forces et de nos faiblesses. L’idée, c’est d’en tirer des conclusions et de s’améliorer.

Les sourires des jeunes nageuses Analia Pigrée et Marie-Ambre Moluh lors des Mondiaux d’Abu Dhabi en petit bassin (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Corrigez-nous si on se trompe, mais nous avons le sentiment que l’expérience de Philippe Lucas est particulièrement prisée et de plus en plus sollicitée au sein du collectif national.

Philippe est très exigeant avec lui et donc avec les autres, mais en même temps il est incroyablement rassurant…

Comment ça ?

Tous les jours, il nous répète inlassablement la même chose : « On a une superbe équipe de France avec de bons nageurs et des entraîneurs compétents, mais il faut maintenant qu’on se mette au boulot ».

Qu’entend-t-il exactement par « se mettre au boulot » ?

Philippe est convaincu que nous disposons de tous les outils pour briller à Paris 2024. Il faut simplement que nos athlètes élèvent leur niveau d’exigence au quotidien. Encore une fois, l’équipe de France, c’est à peu près trente jours dans l’année. Ce n’est donc pas là que ça se passe. Si on veut performer, c’est tous les jours, toute l’année, dans nos clubs. C’est dans ce sens que Philippe est rassurant. D’ailleurs, les jeunes entraîneurs de l’équipe de France s’inspirent de son mode de fonctionnement et de la manière dont il aborde les échéances mondiales. A l’instar également de Michel Chrétien (coach à l’INSEP, ndlr). Ce sont des techniciens de dimension mondiale qui ne lâchent jamais rien. Il faut voir comment ils sont investis au quotidien. Ce sont des exemples pour nos jeunes coaches qui découvrent l’environnement international.

Philippe Lucas lors des Euro de Kazan en petit bassin en novembre 2021 (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Sur ces Mondiaux petit bassin nous avons également eu le sentiment que les relais tricolores retrouvaient progressivement une place sur le devant de la scène. Non pas qu’ils aient disparu, mais depuis quelques années, l’énergie collective semblait moins prégnante.

Bon, déjà, il faut dire que Jacco (Verhaeren) a un goût prononcé pour les relais. C’est quelque chose auquel il est très attaché et qui vient probablement de sa culture néerlandaise. Philippe (Lucas) apprécie aussi l’exercice, mais pour lui, le vrai relais, c’est le 4x200 m nage libre, le « poumon aquatique » d’une nation. Après, Jacco instille une notion de plaisir collectif qui nous fait encore un peu défaut. Il insiste beaucoup sur cette question. Pour lui, c’est un élément incontournable de la réussite d’un groupe et je crois sincèrement qu’il a raison. Pour Jacco, cela n’altère aucunement la performance individuelle. Au contraire, les deux sont complémentaires.

A vous entendre on a presque le sentiment que la natation française a oublié au fil des années de s’amuser.

J’ai parfois l’impression que certains de nos nageurs vont au « travail ». Alors oui, il y a une part de contrainte, mais n’oublions pas, en effet, de nous amuser, de prendre du plaisir, de profiter de ces moments uniques que nous vivons tous ensemble. Florent (Manaudou) en est, à ce titre, un parfait exemple. Jusqu’aux championnats de France de Chartres (15-20 juin 2021), il avait tendance à se « prendre la tête », à essayer de tout contrôler, mais après ce rendez-vous national, il a décidé de lâcher prise et de profiter de ses troisièmes Jeux à Tokyo. Résultat : il a décroché l’argent olympique sur 50 m nage libre (son second après celui de Rio en 2016, ndlr). Il y a sans doute une leçon à tirer de cette expérience. N’oublions pas, en effet, la chance que nous avons de participer à de grands événements à travers le monde et de vivre notre passion du haut niveau à fond. C’est quelque chose de rare et précieux.

Recueilli à Abu Dhabi par Adrien Cadot

 

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