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Pour être franc, on n’aurait pas forcément mis une pièce sur la qualification de Jordan Pothain aux Jeux nippons en début de saison. Disons même, sans porter ombrage à son talent ainsi qu’à son incroyable détermination (que nous avons parfois pris pour de l’obstination, voire de l’orgueil), que le nageur de Fabrice Pellerin nous semblait en perte de vitesse, loin du niveau qui lui avait permis d’intégrer la finale du 400 m nage libre des Jeux olympiques de Rio en 2016, à des années-lumière de la prédiction de Philippe Lucas qui avait annoncé en fin de quinzaine brésilienne que ce « mec-là pourrait viser un podium à Tokyo ». Il faut croire que le plus célèbre coach de la natation tricolore perçoit des choses qui nous dépassent. Il faut également croire que nous avons mésestimé les qualités de résilience de Jordan Pothain. Aux championnats de France de Chartres (15-20 juin), le Niçois d’adoption a fait montre d’un allant et d’une maîtrise que nous ne lui connaissions plus. Pour tout dire, Jordan nous a bluffé ! Tant dans l’eau qu’à l’extérieur du bassin. Par sa franchise, son honnêteté et le regard clairvoyant qu’il porte sur son olympiade et sur lui-même, le jeune homme de 26 ans a non seulement réussi à chasser ses démons montpelliérains et brésiliens tout en reprenant le fil d’une carrière jalonnée de déceptions qui en auraient certainement découragé plus d’un.

Que représente cette participation aux Jeux de Tokyo ?

Une immense victoire ! Ce n’était pas gagné, même si c’était l’objectif, mais j’ai réussi. Je savoure, à présent (sourire)

Comment as-tu vécu cette longue saison jalonnée de plusieurs étapes de qualification ?

Ça n’a pas été facile ! Voir les autres se qualifier pour les JO, c’est plaisant, mais ça m’a systématiquement ramené à mes performances décevantes. En même temps, tous les parcours sont différents. Aujourd’hui, je pense que j’ai la maturité pour le comprendre. Si j’en suis là, aujourd’hui, c’est que j’ai réussi à accepter beaucoup de choses pour continuer d’avancer.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Au-delà de cette seule saison, de quelle manière as-tu traversé l’olympiade 2016-2021 ?

Il a fallu faire preuve de résilience et continuer d’y croire en dépit des obstacles et des déceptions. J’ai raté les championnats du monde de 2017 à Budapest et ceux de 2019 à Gwangju. Là, c’est la première fois que je me qualifie en individuel pour une échéance mondiale. Sans doute qu’il me fallait en passer par là. Déjà, en 2016, je me disais que mon parcours était atypique, mais aujourd’hui, ça n’a jamais été aussi vrai !

As-tu des regrets ?

Non, mais j’aurais préféré que mon parcours soit plus simple et moins chaotique (sourire)... J’aurais aussi aimé participer à de belles et grandes échéances internationales, mais peut-être que je n’aurais pas été à Tokyo.

Comment expliques-tu que les planètes se soient finalement alignées lors des championnats de France de Chartres (15-20 juin), à seulement un mois des Jeux olympiques ?

Au quotidien, je n’ai jamais lâché ! C’est vraiment en compétition que les choses ne fonctionnaient pas, que je ne réussissais pas à mettre en application les bonnes choses réalisées à l’entraînement. Mes 1’51 sur 200 m au FFN Golden Tour de Marseille (mars 2021) m’ont mis un gros coup au moral. Je savais que ce n’était pas représentatif de mon niveau, mais je me suis dit qu’il était temps de s’y prendre autrement…

Autrement ?

Je me sentais bien physiquement, en forme, mais ça ne répondait plus dans l’eau. Du coup, je me suis tourné vers l’hypnose. Ce travail basé sur l’émotionnel m’a permis de me libérer et de revenir à un côté plus instinctif, moins cérébral. Si je nage, c’est pour performer, mais aussi prendre du plaisir dans ce que je réalise au quotidien. Sinon, à quoi bon ?

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Peut-on parler d’un travail introspectif, presque psychologique ?

Oui, tout à fait ! Beaucoup d’émotions sont remontées à la surface. Je me suis souvenu de beaucoup de choses…

Quoi en particulier ?

L’année 2016 occupe beaucoup de place, vous vous en doutez… Cela a été une année fascinante en termes de performances, sur le plan de la découverte du haut niveau et de l’aspect médiatique, mais émotionnellement, je l’ai très mal vécu ! Et comme je suis quelqu’un qui veut être autonome et qui a besoin de contrôler les choses, j’ai mis du temps avant de me tourner vers la préparation mentale. En fait, j’ai attendu que ça pète…

Comment ça ?

Disons qu’à un moment il y avait trop de briques dans le sac et que le poids était devenu trop lourd pour mes petites épaules (sourire)

Elles ne sont pas si petites que ça, tes épaules…

Non, c’est vrai (sourire), mais tout le monde a ses limites ! Vient un moment où on ne peut plus en supporter davantage. Il a fallu prendre le temps de parler de tout ça et, plus important encore, trouver le moyen de l’accepter. Les qualifications olympiques des championnats de France à Montpellier (avril 2016) ou la polémique autour du relais 4x200 m nage libre à Rio ne me pèsent plus comme avant. Je sens bien que j’ai pris de la distance avec tout ça. C’est derrière moi maintenant. Ça ne m’encombre plus.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Doit-on en déduire que même après toutes ces années, tu n’avais pas encore digéré l’épisode de la plaque à Montpellier ou celui du retrait inattendu de Yannick Agnel du relais 4x200 m nage libre à Rio ?

Je croyais sincèrement avoir tourné la page, mais visiblement ce n’était pas le cas. L’hypnose m’a permis de dépasser ces souvenirs douloureux…

Le fait de revenir à Chartres pour des sélections olympiques t’a-t-il permis de solder définitivement ton histoire avec Rio ?

Il faut croire que oui (sourire)… Disons que c’est une étape supplémentaire pour laisser ces épisodes derrière moi. D’ailleurs, j’ai été dans le souvenir avant le départ de la finale du 200 m nage libre à Chartres, pas mal de trucs me sont revenus, mais j’étais tellement détaché et sûr de moi que ça ne m’a pas affecté comme avant. Dans l’eau, cela s’est vu ! J’étais bien, conquérant, offensif, maître de ma course. Je courrais derrière ces sensations depuis des années. Il était temps que je me les réapproprie (sourire)

L’année olympique 2016 a constitué un vrai traumatisme en fin de compte.

Oui, clairement, et je ne m’en cache pas ! J’ai vécu des trucs difficiles. D’ailleurs, je trouve que notre équipe de France est composée de « survivants ». Théo (Bussière) ou Fantine (Lesaffre) ont également vécu des trucs durs ces dernières années. Pour autant, personne ne se plaint. Le haut niveau est à ce prix. Et puis cela nous donne également un supplément d’âme et de la force pour réaliser de belles choses aux Jeux de Tokyo.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

As-tu le sentiment que l’ambiance au sein de l’équipe de France engagée dans l’aventure japonaise est différente de celle qui avait pris part aux JO de Rio en 2016 ?

En effet, cela n’a rien à voir ! L’équipe s’est considérablement rajeunie et j’occupe une place totalement différente…

Comment ça ?

J’ai envie de partager mon expérience avec les nouveaux. Pour autant, j’ai le sentiment qu’il y a une belle cohésion entre nous alors qu’un grand nombre de nageurs tricolores vont découvrir les Jeux olympiques.

A titre personnel, quels seront tes objectifs à Tokyo ?

J’ai envie de savourer ce retour aux Jeux, tout simplement. Vous savez, quand la saison a débuté, je me disais encore : « Il faut à tout prix que je décroche un podium olympique ! » Aujourd’hui, je sais que c’est loin. Pour autant, je ne m’interdis pas de rêver. Mais l’important n’est pas là. Moi, je suis déjà content d’appartenir à cette équipe, de nager à Tokyo et d’avoir la chance de représenter la France. Je mérite d’être au Japon !

(KMSP/Philippe Millereau)

Sous-entendus-tu que tu ne « méritais » pas d’être à Rio ?

Si, bien sûr, mais j’étais resté sur le truc de : « J’ai laissé ma place » (en l’occurrence à Yannick Agnel sur le 200 m nage libre des championnats de France à Montpellier, ndlr). A Chartres (15-20 juin 2021), quand j’ai pris le départ de la finale du 200 m, je me suis dit : « Je vais chercher ma place, la mienne, et pas celle de quelqu’un d’autre ».

Doit-on en déduire que tu avais laissé ta place à Yannick (Agnel) de façon « forcée » aux qualifications olympiques de Montpellier en 2016 ?

Non, absolument pas ! En tout cas, moi, je ne me suis jamais senti contraint. Il n’y a jamais eu de pression extérieure. C’est juste qu’en 2016, mes objectifs individuels étaient fixés sur le 400 m nage libre et le relais 4x200 m. Je me rappelle qu’en sortant du 200 m à Montpellier, je ne comprends pas du tout ce qui est en train de se passer. Je sens surtout que ça me coûte de l’énergie alors que j’ai encore le ticket du 400 m nage libre à aller chercher en individuel. Du coup, j’ai envie que toute la polémique autour des plaques de chronométrages se termine vite. Finalement, je laisse ma place à Yannick (Agnel). Et puis, il faut le dire aussi, mais quelques heures après la finale du 200 m à Montpellier, je revois les images de la télévision et je me dis – sur le moment – que Yannick a, en effet, touché devant. Mais bon, pas la peine de revenir sur cet épisode. Il appartient désormais au passé.

En as-tu parlé avec Yannick ?

Nous avions rapidement évoqué le sujet pendant les Jeux de Rio, mais sans plus… Aujourd’hui, ce n’est plus un sujet qui me travaille.

Recueilli par Adrien Cadot (Jonathan Cohen et Issam Lachehab)

JORDAN POTHAIN

Né le 14 octobre 1994 à Echirolles

Taille : 1m87

Poids : 76 kg

Club : Olympic Nice Natation

Entraîneur : Fabrice Pellerin

Qualifié sur 200 m nage libre

La phrase : « Je savais que j’en étais capable, mais ça reste une belle récompense après tout ce qui s’est passé depuis les JO de Rio. En dépit, des doutes, je n’ai jamais lâché. Je me suis battu. Plusieurs fois j’ai pensé à arrêter, mais finalement, à force d’abnégation, je suis qualifié pour mes seconds Jeux olympiques. Je crois que c’est le début de quelque chose de vraiment sympa pour moi. Je vais essayer de surfer là-dessus le plus longtemps possible. »

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