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Après une sortie différée en raison de la pandémie mondiale, Nadia, Butterfly, le second long métrage du réalisateur québécois Pascal Plante (37 ans, auteur de plusieurs courts métrages primés) sera finalement diffusé dans les salles françaises à compter du mercredi 4 août. Cet opus aquatique raconte l’histoire de Nadia, Canadienne de 23 ans, qui prend la décision controversée de se retirer de la natation professionnelle et de s’affranchir d’une vie de sacrifices. Après une dernière course aux Jeux de Tokyo (ceux qui auraient dû se tenir en 2020 et non l’édition « covidienne » qui s’est ouverte le 23 juillet dernier, ndlr), les excès cachés du Village olympique lui offrent un nouveau souffle de liberté. Mais à mesure qu’elle plonge dans l’inconnu, les doutes surgissent : qui est-elle réellement ? « La vie d’un athlète se termine généralement autour de trente ans alors que la véritable vie commence paradoxalement dans ces eaux-là », livre Pascal Plante en guise d’introduction à cet entretien qu’il nous a accordé début juillet dans le 11e arrondissement de Paris. « Je voulais que le film respecte cette proportion avec une partie sur le triomphe qui arrive très tôt, mais aussi l’après. La vie d’un sportif est faite de hauts et de bas avant de se conclure sur une sorte de brusque redescente. » Une redescente synonyme de renaissance ? A vous de juger.

En tant qu’ancien nageur, qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser un film sur votre discipline ?

Je voulais célébrer la natation parce que ma retraite sportive ne s’est pas accompagnée d’une déprime. J’ai arrêté de nager vers 19 ans, ce qui est assez jeune, mais j’ai quand même remporté des médailles nationales. J’étais suffisamment talentueux pour me poser la question : « Je vais au bout où j’arrête ? ». Ma transition post natation a été paisible car je nourrissais déjà une passion pour les arts. Au fond de moi, je savais que j’allais y mettre toute ma dévotion et le temps nécessaire pour vivre cette nouvelle vie. Je ne voulais pas être à 50% dans la natation et dans le cinéma. Pour moi, ça aurait été perdant-perdant !

Il ne s’agit toutefois pas d’une œuvre autobiographique ?

Non, absolument pas, mais j’ai des amis qui ont poursuivi leur carrière au plus haut niveau. J’ai fini par constater que certains se retrouvaient parfois dans des situations complexes à l’issue de leur carrière. Ceux qui ont repris les études, par exemple, étaient souvent les plus âgés de leur classe. Ils passent d’une discipline dans laquelle ils excellent à un nouvel environnement dans lequel ils doivent faire leur preuve. J’ai observé que les reconversions qui se déroulent le mieux sont celles qui sont animées par une véritable passion.

La nageuse canadienne Katerine Savard (médaillée de bronze avec le relais canadien 4x200 m nage libre aux Jeux de Rio en 2016 et demi-finaliste du 100 m papillon aux Jeux 2021 de Tokyo, ndlr) incarne Nadia dans le film le second long métrage du réalisateur Pascal Plante (Photo : Nadia, Butterfly).

Nadia, Butterfly évoque justement ce sujet : la « petite mort » qui accompagne la fin d’une carrière de sportif de haut niveau.

Oui, c’est exactement ça ! On peut même parler d’un deuil. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai conçu le scénario. Nadia est un peu juvénile, en quête de sensations et de nouveautés. On enterre Nadia l’athlète pour découvrir une jeune femme naïve et un peu perdue. Au début, elle tente de se projeter dans l’avenir, mais elle est dans le déni. Elle se met en tête qu’elle a encore une course à disputer, puis elle passe par la colère envers elle-même et les autres avant de progresser vers l’acceptation…

Qui s’accompagne d’ailleurs d’une certaine forme de sérénité, non ?

Nadia laisse sa vie d’athlète au bord de la route, mais aussi son enfance car elle comprend que sa vie de nageuse professionnelle l’infantilise. Symboliquement, le monde du sport est représenté dans le film par les mascottes olympiques. Dans le sport de haut niveau les symboles sont forts parce qu’une médaille en elle-même ne vaut à la fois rien et tout en même temps ! Dans le film, la peluche des JO qu’elle gagne dans une salle d’arcades japonaises est une broutille, mais celle qu’elle reçoit sur le podium, qui est pourtant exactement la même, a une toute autre valeur ! Je voulais aussi montrer que l’athlète est compétitif dans tout ce qu’il entreprend, qu’il ne renonce jamais et qu’il est habité par une soif de victoire qui peut finir par l’aveugler et le détourner de ce qu’il est intrinsèquement.

(Photo : Nadia, Butterfly)

En tant qu’ancien nageur et compétiteur de haut niveau appliquez-vous ces préceptes dans votre carrière de réalisateur ?

Disons que j’ai gardé une discipline que j’ai hérité de mes années aquatiques. Un tournage n’a rien à voir avec une performance sportive, mais dans l’approche, dans la rigueur, il y a des similarités. Toutefois, la part de liberté, de lâcher-prise et de créativité dans mon travail de réalisateur n’a rien de commun avec la recherche du geste parfait que j’ai pu expérimenter en natation. Si l’exigence est la même, le but diffère ! Dans le sport, il faut dominer. L’œuvre cinématographique tient davantage de la proposition, d’une vision. Il n’y a aucune volonté d’imposer.

Au final, on ne sait pas si Nadia, Butterfly est un film positif ou critique à l’égard du monde sportif. Pouvez-vous nous éclairer ?

Je pense qu’il y a un entre-deux, mais le film est plutôt bienveillant. J’ai tenu à collaborer avec de « vraies » nageuses pour bâtir un film honnête car c’est un milieu que j’aime et que je ne souhaitais pas « maltraiter ». D’ailleurs, la natation est l’enfant pauvre des sports au cinéma car peu d’œuvres cinématographiques la mettent en valeur. Ce film, c’est un peu un témoignage d’amour pour ma discipline. Toutefois, il était également important de montrer que l’olympisme n’est pas tout rose. Le film a été tourné en 2019 et met en scène les Jeux de 2020 qui n’ont finalement pas eu lieu, mais on savait que l’on tournait des JO presque métaphoriques. Et moi, ça me plaît que le film soit une fiction.

(Photo : Nadia, Butterfly)

A propos des Jeux, comment avez-vous tourné l’impressionnante scène du relais qui nous captive pendant de longues minutes au début du film ?

J’ai pris le parti de rendre la course moins intelligible. Je voulais montrer la confusion et l’adrénaline, suivre quelques protagonistes dans ce magma d’émotions. Je tenais vraiment à ce que cela paraisse réel et surtout ne pas tricher en édulcorant le récit. Pour cela, nous avons filmé en plans séquences en suivant les quatre Canadiennes dans le tumulte de la plage de départ et des passages de relais. Techniquement, c’était un défi car les actrices ont nagé à vitesse réelle, mais je me suis dit qu’il fallait que les spectateurs vivent la course de la façon la plus authentique qui soit !

Pourquoi avoir porté votre dévolu sur des nageuses, dont la Canadienne Katerine Savard (médaillée de bronze avec le relais canadien 4x200 m nage libre aux Jeux de Rio en 2016 et demi-finaliste du 100 m papillon aux Jeux 2021 de Tokyo, ndlr) qui incarne Nadia dans le film, et non des actrices chevronnées ?

Il fallait une vraie nageuse ne serait-ce qu’au niveau du budget car nous n’avions pas la possibilité de créer des images de synthèse pour reconstituer les scènes de course. La musculature et les routines des athlètes étaient aussi importantes à retrouver à l’image. Et ça, c’est difficile à retrouver, même chez des acteurs expérimentés ! Pour le film, il y avait définitivement des défis, un travail avec la nageuse pour apprendre à jouer, mais Katerine n’a pas pris de cours. C’est un heureux hasard que la nageuse la plus rapide ait été la meilleure lors des auditions ! Je recherchais une personne touchante et je trouvais qu’elle nous invitait dans sa tête. Il fallait simplement la mettre à l’aise, notamment en choisissant la bonne partenaire pour elle dans le film qui est son amie dans la vraie vie (Ariane Mainville). Donc ça a roulé car elles ont vu ce film comme une véritable aventure humaine. Je leur avais promis une belle expérience, je crois que c’est réussi !

(Photo : Nadia, Butterfly)

Une « belle expérience » de vie et de cinéma, mais le film traite, lui, d’une expérience plus douloureuse, celle de la fin de carrière…

(il intervient) Ce long métrage aborde beaucoup de sujets : la transition de l’athlète vers une nouvelle vie, le passage de l’enfance à l’âge adulte, l’évolution d’une amitié aussi car en prenant sa retraite sportive Nadia laisse des amies derrière elle. Je ne voulais pas me contenter d’un unique thème. Cela aurait été trop réducteur. La vie est tellement plus riche. Je trouve en tout cas que ces questions donnent un rythme atypique à ce film par rapport à ce qu’on l’habitude de voir autour du sport.

Au-delà du rythme et des nombreux plans séquences, nous avons également été frappés par le côté documentaire de certaines scènes. S’agissait-il d’une volonté assumée ?

D’une certaine façon oui, mais il s’agissait surtout de dépeindre un univers « étriqué » régi par des codes très précis. Nadia évolue dans ce milieu, mais avec le temps, elle finit par se poser des questions sur son épanouissement personnel et intellectuel. Je suis content que le film soit un peu « documentaire », en partie aussi parce que ce sont de vraies nageuses qui interprètent les personnages principaux, mais il n’en demeure pas moins une œuvre de fiction.

(Photo : Nadia, Butterfly)

Nous avons aussi cru percevoir une critique du traitement journalistique de la natation aux Jeux olympiques. Est-ce le cas ?

C’est davantage un constat sur le formatage qui est présent aux Jeux. Le simple concept d’un corridor de presse et d’une zone mixte me semble très… spécial ! Les journalistes font ce qu’ils peuvent, mais je pense que s’il y a une critique, elle n’est pas contre eux. Le fait que les questions des médias soient « creuses » n’était pas voulu dans le film. Je voulais surtout montrer qu’à peine sortie de leur course, les athlètes doivent mettre des mots sur leurs émotions, leurs doutes et des questions auxquelles ils n’ont pas de réponse.

Avez-vous de nouveaux projets en cours ?

J’espère pouvoir tourner un film l’année prochaine, mais pour le moment je profite et je soutiens la vie de Nadia, Butterfly. Je n’avais aucune idée de ce qu’allait être l’avenir du film à cause de la pandémie. La sélection Festival de Cannes a été une surprise totale ! J’ai pu exorciser cette envie de tourner un long métrage sur le sport, mais le prochain sera totalement différent.

Recueilli par Adrien Cadot (avec Issam Lachehab)

Cliquez sur l’affiche pour découvrir la bande-annonce !

PASCAL PLANTE

Le réalisateur québécois s’est fait remarquer avec Les Faux Tatouages, son premier long métrage de fiction, lauréat du Grand prix Focus Québec/Canada au FNC 2017 et sélectionné à la Berlinale 2018. Diplômé de l’Université Concordia à Montréal en 2011, Pascal Plante n’a pas tardé à écrire et réaliser de nombreux courts métrages, incluant Blonde aux yeux bleus (Meilleur court métrage Canadien, VIFF 2015), Nonna (Slamdance 2017) et Blast Beat (Slamdance 2019). Le cinéaste québécois se décrit comme un cinéphile devenu cinéaste de fiction, au regard de documentariste. Nadia, Butterfly est son deuxième long métrage de fiction, en sélection officielle pour la 73e édition du Festival de Cannes en 2021.

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