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Pourquoi les piscines sont-elles de plus en plus fréquentées, même en hiver, même à 7 heures du matin, avant le bureau, même quand le temps ne s’y prête pas et que les températures frôlent l’indécence ? Pourquoi autant d’allers-retours dans une gigantesque baignoire avec comme seule perspective un carrelage régulier et hypnotique ? C’est que l’eau lave de tout, de la fatigue, des chagrins, des soucis et même du frisson qui saisit lorsque l’on se jette dedans. En peu de temps se déclenchent les endomorphines qui font glisser le nageur dans une béatitude régressive. Cette gestuelle silencieuse opère alors comme un allègement de soi, la réconciliation du corps et de la pensée dans un même rythme. Un sentiment d’apaisement subtilement décrit par Annie Leclerc dans un texte culte, Eloge de la nage : « En elle, je me sens bien ; large et longue, musclée, efficace, vivante ; j'entre en fœtale souveraineté d'être par elle aimée. Et mieux qu'aimée : approuvée. Organique louange de celle qui m'accueille. J'y tète l'orgueil simple de vivre. On se comprend. »

En résumé, l’eau procure une sensation de bien-être. C’est aussi simple que ça, mais ce n’est pas tout. A la piscine, tous les nageurs sont identiques : maillot, bonnet, lunette et accessoires... les nageurs forment alors un idéal type à la française : une société égalitaire. Quoi de plus démocratique, en effet, qu’une piscine municipale ? Le prix d’entrée y défie toute concurrence. Y règne une mixité sociale et d’âge à faire rêver un communiste endurci, l’équipement se révèle d’un coût particulièrement avantageux, son usure résiste à des milliers de longueurs et il ne cède en rien à la mode puisque les principales marques aquatiques écoulent depuis plus de quarante ans le même maillot baigneur taillé au cordeau dans du nylon élasthanne.

Autre avantage, la natation n’entame pas les organismes. « Contrairement au jogging ou au cyclisme, par exemple, la natation n’éprouve pas les muscles puisqu’il n’y a ni contacts ni traumatismes », explique Jean-Loup Bouchard, médecin de l’équipe de France qui vante aussi les vertus introspectives de la discipline. Nager est propice à la méditation puisque les mouvements s’enchaînent selon une mécanique monotone. On peut certes tenter de perfectionner son arrondi de bras ou d’accélérer sa jetée de jambe, s’écouter respirer et allonger son souffle, améliorer sa ligne de flottaison, mais en général, pour un nageur d’habitude comme le sont la plupart des abonnés aux piscines municipales, ces préoccupations se noient dans le clapotis de l’eau. La natation est une activité d’oubli, ce qui ne fait pas de mal de temps à autres.

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