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Après le stage de préparation pour les championnats du monde de Budapest (18 juin-3 juillet) organisé début juin à Canet-en-Roussillon, focus sur l’impédancemétrie : méthode scientifique consistant à mesurer la masse grasse, musculaire et la quantité d’eau dans le corps. Décryptage en compagnie de Robin Pla, référent scientifique à la Fédération Française de Natation et coordinateur au sein du Service optimisation de la performance en lien avec l’INSEP (*).

Comment la FFN et les nageurs utilisent l’impédancemétrie ?

Cette méthode a commencé à être utilisée il y a trois ans, mais c’était soit très onéreux, soit trop chronophage (à base d’électrodes et de patchs). Depuis, la Fédération Française de Natation a signé un partenariat avec une entreprise nous permettant de disposer de balances sur lesquelles on pèse nos athlètes dans plusieurs centres d’entraînement en France.

En quoi cela consiste-t-il concrètement ?

On monte sur une balance et en moins d’une minute un ordinateur nous donne la masse grasse, la masse musculaire et sa répartition par bras et par jambe. J’ai, par exemple, une nageuse qui avait dernièrement pris de la masse grasse sur le tronc (abdos, ventre). Le fait de la mesurer a été très intéressant car elle avait une sorte de surcharge après les Jeux olympiques de Tokyo, peut-être à cause d’un relâchement alimentaire. Un sujet d’ailleurs assez sensible chez les femmes…

Robin Pla lors du stage de préparation aux Mondiaux de Budapest organisé début juin à Canet-en-Roussillon (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Seulement chez les femmes ?

Sur ce plan, on note une vraie différence physiologique entre les femmes et les hommes. Ces-derniers arrivent plus facilement à perdre de la masse grasse. Après, pour segmenter, les demi-fondeurs peuvent se permettre d’avoir un peu plus de graisse et donc moins de masse musculaire que les sprinteurs. En eau libre, là, cela dépend de la température de l’eau. Plus l’eau est froide, plus il va falloir de graisse, et inversement si elle est plus chaude.

A quelle fréquence utilise-t-on cette balance « magique » ?

Il y a deux utilisations différentes. Les nageurs qui s’entraînent en centre et qui ont accès à une balance se pèsent toutes les deux semaines. Ceux qui n’en ont pas sur site profitent des stages et des compétitions, c’est-à-dire trois ou quatre fois par an, pour faire une sorte de check-up. Mais pour eux, s’il y a des soucis, on va avoir du mal à les corriger. Les mesures régulières sont plus intéressantes. Elles permettent d’être vigilant, d’assurer un suivi pédagogique, de prévenir les mauvaises tendances et d’alerter sur le fait de ne pas trop dépasser les limites. Concernant la masse musculaire, la masse grasse et le volume d’eau dans le corps, notre travail consiste surtout à trouver un équilibre entre toutes les données, trouver un équilibre assez personnel, puis observer comment cela évolue dans le temps.

(Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Comment affinez-vous ensuite votre travail et quels conseils donnez-vous aux nageurs ?

Parfois, ce n’est pas grave si l’on prend en masse grasse comme le cas de cette nageuse dont je parlais précédemment. En revanche, à l’approche des grandes échéances nationales ou internationales, il vaut mieux avoir moins de masse graisseuse et perdre un peu de poids pour maximiser le rapport poids-puissance. Deuxième exemple : lors des stages en altitude, l’idée, c’est de ne pas trop perdre en masse musculaire. Enfin, troisième cas : par rapport à des retours de blessure, la répartition segmentaire (par bras, par jambe) est capitale. Si une nageuse ou un nageur a été plâtré pendant six semaines, on va voir si sa blessure n’a pas créé de trop gros déséquilibres dans le corps, à gauche ou à droite.

Quels bénéfices en tirent les athlètes ?

Avant même de regarder les données, il y a toute une éducation à faire avec eux afin de leur faire comprendre ce que l’impédancemétrie peut leur apporter en termes de qualité de vie et de performance. Mais cela implique des changements de comportements. Et ça, on ne peut pas le faire à leur place.

Et donc ils y adhèrent ou pas ?

Florent Manaudou, Marie Wattel, Charlotte Bonnet, Yohann Ndoye Brouard ont pris l’habitude de passer sur la balance. Florent, cela lui permet de réguler les moments où il peut avoir plus de masse grasse dans des moments importants et savoir combien il doit perdre ou gagner en période de préparation des grandes compétitions.

En gros, cela renforce et crédibilise également les plans d’entraînement avec des données chiffrées…

Oui, pour certains, l’impédancemétrie a rapidement trouvé une place dans leur processus de préparation. Cet outil renforce leur comportement « pro ». Mais malheureusement, d’autres ne le prennent pas encore suffisamment en compte dans leurs plans !

Robin Pla en compagnie de Florent Manaudou et de son entraîneur Quentin Coton lors du stage de l'équipe de France à Canet-en-Roussillon début juin (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

L’impédancemétrie favorise-t-elle aussi la récupération ?

La différence, c’est que l’on mesure nettement mieux les états de fatigue et de forme qu’auparavant. Plus on peut individualiser les stratégies de récupération, mieux c’est pour l’athlète et son entraîneur. Tout cela est lié au développement des outils technologiques. Plus ça va, plus la médaille se joue à quelques centièmes et donc, oui, tous ces détails se révèlent déterminants au fil du temps. Aujourd’hui, ils constituent une réelle plus-value. Dans cette perspective, les Jeux de Paris 2024 ont permis de libérer des fonds et de multiplier les partenariats avec de grandes écoles et des universités afin de mesurer la force des nageurs dans l’eau et leur état de fatigue.

L’impédancemétrie est-elle complémentaire de la cryothérapie (phases de récupération à base de bains froids) ?

Bien sûr ! Les effets du froid sont très bons même s’ils sont moins intéressants quand on veut gagner en masse musculaire. L’utilisation de ces outils technologiques pour analyser la performance et pallier les manques a été renforcée par l’arrivée du nouveau patron des équipes de France en septembre 2021. Le Néerlandais Jacco Verhaeren s’est rapidement entouré d’experts. Il est très intéressé par toutes ces questions scientifiques qui livrent des données factuelles non discutables. Après, il ne faut pas oublier que le sport n’est pas une science exacte : il reste rempli d’imprévus et d’incertitudes !

Recueilli par Antoine Grynbaum

(*) Robin Pla est Conseiller technique national (CTN). Il fait le relais et assure le suivi entre le service optimisation et les équipes de France de natation (sprint et eau libre). Après les compétitions, Robin Pla effectue les prises de lactate qui mesure les taux de lactate dans le sang. Pendant les stages, il aide à analyser les données scientifiques récoltées. Il a organisé un séminaire en octobre 2021 à l’INSEP sur les projets de recherche qui aident à optimiser les performances pour les Jeux de Paris en 2024 (uniquement dans le cadre de la natation).

 

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