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Depuis janvier 2019, les jumelles russes Nastya et Darya Bayandina, 23 ans, s’entraînent à l’INSEP. Une arrivée qui a suscité des interrogations auxquelles le Directeur technique national, Julien Issoulié, a accepté de répondre.

De quelle manière l'arrivée de Nastya et Darya Bayandina s'est-elle déroulée ?

Nous n’avons pas été les chercher. Ce sont elles qui, après avoir été écartées de l’équipe russe en raison du jeu de la concurrence, ont souhaité continuer à rêver d’une participation aux Jeux olympiques. Dans cette perspective, elles nous ont sollicités parce que nous allons organiser les JO à Paris en 2024. A partir de là, nous avons commencé à discuter.

Autour de quoi ont tourné ces discussions ?

Nous les avons fait venir en France pour qu’elles rencontrent les coaches, les nageuses du collectif national et pour voir aussi, et c’est important de le dire, si nous pouvions nouer une relation de confiance. Quand tous les doutes ont été levés, nous avons ouvert le volet politique en appelant la fédération russe pour les informer des démarches de leurs nageuses et leur expliquer où nous en étions. Le président de la fédération russe nous a clairement affirmé qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce qu’elles partent. Après quoi, quand tout a été clair, elles se sont mises au travail à l’INSEP. Rapidement, nous avons pu mesurer leur motivation. Nous avons aussi saisi tout ce qu’elles allaient pouvoir nous apporter en termes d’exigence. De leur côté, elles ont fait preuve d’une grande curiosité et d’une volonté de s’intégrer.

(Illustrasport)

Les nageuses tricolores n’ont donc pas vu d’un mauvais œil leur arrivée ?

Au contraire, je pense qu’elles ont vite vu que Nastya et Darya étaient des filles bien élevées et agréables à vivre. Je suis également persuadé que les Françaises ont compris qu’en dépit de la concurrence l’arrivée des jumelles allait booster le groupe et élever le niveau de performance. Mais je le répète, ce ne sont pas des nageuses que nous avons débauchées. Elles nous ont sollicité et nous avons pris le temps de tout mettre en place pour que leur intégration se déroule au mieux.

Malgré tout, cela a suscité des interrogations.

Je dirais que c’est presque un comportement naturel quand on est confronté à une situation exceptionnelle. Tout le monde a été surpris par leur démarche. Nous les premiers. Derrière, nous avons essayé d’apaiser les esprits, mais sans communiquer outre mesure sur quelque chose qui n’était pas encore confirmé. A l’époque, je m’en rappelle, je faisais une tournée des régions. A chacune de mes interventions, je prenais le temps d’évoquer le sujet auprès de mes collègues cadres technique pour éviter que les choses soient mal comprises ou mal interprétées. Pour l’heure, les jumelles s’entraînent à l’INSEP mais elles n’ont pas la nationalité française. La procédure est lancée, mais cela va prendre du temps.

Aujourd’hui, elles ne sont donc pas encore membres de l’équipe de France.

Non, Nastya et Darya sont membres du centre national de l’INSEP. Elles s’entraînent à côté de l’équipe de France en attendant d’obtenir la nationalité française.

Apprennent-elles le nouveau ballet que les Bleues travaillent depuis cet été ?

Elles s’entraînent à côté, donc oui, elles le travaillent.

(Illustrasport)

Par conséquent, si elles obtiennent la nationalité française avant l’Open de France de natation artistique organisé du 5 au 8 mars à la piscine Georges Vallerey (Paris 20), seront-elles intégrées au collectif national ?

Dans ce cas, oui, mais à condition que l’une ou l’autre soit plus forte que des filles qui figurent actuellement dans l’équipe. Ce qui prime, c’est la performance de haut niveau. C’est l’essence même de notre mission. Là où il y aurait pu y avoir confusion, c’est sur le duo, mais cela n’a jamais été évoqué avec les Russes. Dès le début, nous leur avons explicitement dit que notre duo composé des sœurs Laura et Charlotte Tremble était déjà constitué. Au mieux, elles feraient partie de l’équipe. De toute façon, et j’insiste sur ce point, il n’a jamais été question de rompre le lien de confiance que nous entretenons avec le monde de la natation artistique tricolore.

Il n’empêche, si Nastya et Darya Bayandina intègrent l’équipe, cela exclura deux nageuses tricolores.

Sauf qu’elles seront Françaises. La question n’aura donc plus lieu d’être. Le sport de haut niveau induit ce genre de sélection, d’autant plus en année olympique où les enjeux sont considérables pour une fédération comme la nôtre. A titre d’exemple, je rappellerai qu’en 2016, alors que j’étais directeur du water-polo, Arnaud Jablonski, membre de l’équipe de France durant de longues années, n’a finalement pas participé au tournoi de qualification olympique de Trieste ni aux Jeux de Rio. Arnaud est sorti au dernier moment parce que l’entraîneur a fait un choix pour privilégier l’équilibre de l’équipe et la cohérence du jeu destiné à atteindre cet objectif suprême.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

S’agit-il également de réintroduire de la concurrence au sein du collectif national de natation artistique ?

Il n’y a rien eu de prémédité de notre part, mais ce qui est certain, c’est que dans l’optique des prochaines échéances, l’arrivée des jumelles peut contribuer à élever le niveau de performance. Rappelons qu’en natation artistique, en water-polo et en plongeon, nous ne disposons pas de viviers conséquents. En natation ou en eau libre, la concurrence est rude. Chaque année, nous voyons émerger de jeunes talents qui tentent de se frayer un chemin jusqu’au plus haut niveau, mais pour nos autres disciplines, ce n’est pas le cas. L’apport d’éléments extérieurs peut permettre, quand les conditions sont réunies, d’étoffer nos rangs et de réaliser des performances. L’équation est finalement simple : qu’est-ce qui est le mieux pour la natation artistique, avoir une équipe de nageuses qui s’entendent bien et qui vivent bien ensembles mais qui ne vont pas aux Jeux ou un ballet qualifié pour les JO ? Je reprends l’exemple du water-polo : les arrivées dans l’équipe nationale d’Igor Kovacevic et de Petar Tomasevic ont fini, après plusieurs années de concurrence et d’investissement, par sortir des joueurs français du collectif, mais ils ont permis aux Bleus de progresser et de retourner aux Jeux olympiques.

Sans compter que les jumelles russes ont émis le souhait de s’installer durablement en France.

C’est le discours qu’elles m’ont tenu lors de notre premier entretien. Elles voulaient venir en France pour avoir une chance de participer aux Jeux de Paris en 2024 avant de s’investir dans la natation artistique. L’histoire n’est évidemment pas écrite à l’avance, peut-être auront-elles envie, à un moment ou à un autre, de rentrer en Russie ou de vivre ailleurs, mais ce ne sont pas des mercenaires. A titre personnel, j’ai senti qu’elles avaient à cœur de découvrir une autre culture, de s’imprégner d’une expérience de vie différente, d’acquérir de nouvelles connaissances sportives et humaines et de s’installer durablement en France.

Recueilli par Adrien Cadot

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